En 1992, Michael Jordan, un des plus grands athlètes de la planète, a collaboré avec Michael Jackson, le plus grand artiste de la planète, pour réaliser le clip « Jam ».
21 ans plus tard, en 2013, ESPN Playbook a recueilli en exclusivité les témoignages inédits de David Kellogg, le réalisateur et Phil Rose, le producteur de « Jam » sur ce qui s’est passé derrière la scène. A ce jour, ils travaillent toujours ensemble sur des projets publicitaires. Ils partagent leurs souvenirs encore très présents à leur esprit de ce tournage qui les a marqué à vie.
Ils ont vécu l’HIStoire, ils la racontent :
L’ORGANISATION
Kellog : Michael Jackson s’est placé derrière Jordan. On a su tout de suite qu’il allait s’impliquer. Je pense que Jackson a d’abord parlé à Jordan. Jordan avait plus de mal à s’y mettre. Michael s’est mis tout de suite dans sa musique. Il a démarré au quart de tour. On a tourné à Chicago uniquement parce que Jordan avait d’autres engagements dans cette ville à ce moment-là.
Rose : A l’origine c’était Travis Payne, le chorégraphe de Michael, qui devait diriger « Jam » mais Michael préparait en même temps une tournée mondiale avec Payne qui était très occupé. C’est alors que David est entré dans le jeu. En sortant de l’aéroport, on se demandait ce qu’on allait faire à Chicago. « Jam » était notre premier projet commun. Moi, j’en avais réalisés d’autres pour Michael. J’avais écrit une chanson « 2300 Jackson Street » pour la famille Jackson. J’en ai écrit une autre en Allemagne avec Michael et Slash après « Jam ».
Kellog : C’était ma première vidéo avec Michael Jackson. A cette époque, j’avais travaillé pour Lionel Richie, Dave Matthews, pas mal avec Quincy Jones, David Crosby.
Rose : Quand le scénario de « Jam » a été bouclé, ils m’ont recruté pour que je programme et fixe le budget.. On a réfléchi à la totalité de l’organisation et où nous allions tourner. A l’origine, cela devait se faire à L.A., dans une salle de concerts. Le budget d’un million de dollars était assez confortable pour l’époque même s’il était tout de même moins élevé que les autres budgets dont Michael disposait habituellement. Dès qu’on est arrivé, on a dû bosser dur pour trouver ce qu’on cherchait. On n’avait encore fait aucun repérage. On est arrivé un jeudi et on devait commencer le tournage le jeudi suivant. C’était court pour trouver un endroit, le sécuriser et, bien sûr, installer le terrain de basket, recruter quelques figurants. C’était un véritable « run and gun ».
On est allé voir tout ce qui était disponible dans la ville. Il y avait un endroit fermé où les Bulls jouaient à ce moment-là au Sud de Chicago. C’était assez pauvre. Il n’y avait pas beaucoup d’entrepôts au toit suffisamment haut pour notre tournage. Et puis, on est entré dans cette vieille fabrique d’armes délabrée. On a regardé partout, c’était parfait : un énorme espace ouvert avec un énorme dépôt d’ordures. Le production Designer, Rob Pearson, a fait aménager un court de basket. C’était surréaliste de voir ce superbe terrain de basket dans un immeuble complètement délabré.
Kellogg : En fait, on n’avait aucune limite financière. Tout ce qu’on voulait, on l’avait. C’est énorme ce qu’on a fait car c’était un entrepôt désaffecté, dans un environnement pas très reluisant et c’était très sale. Je ne sais pas ce qu’il se passait habituellement là, mais c’était un vrai bordel.
Rose : J’ai dû rendre visite à la police locale et tout ce qui s’en suit sans jamais révéler qui serait dans la vidéo. On a dit qu’on faisait une pub pour la mayonnaise Hellmann de façon à ne pas attirer l’attention. Tous nos documents et listes des intervenants mentionnaient la pub pour la mayonnaise. Pour d’autres films publicitaires, on reste discrets mais pas à ce point.
L’ARRIVEE DES DEUX MICHAEL
Rose : Quand Michael Jackson est arrivé sur le site, une tente a aussitôt été montée entre son bus et le bâtiment. Le chemin d’accès était caché et personne ne pouvait voir Michael. Le chef de la police s’est exclamé : « je ne comprends pas pourquoi vous ne m’avez pas dit que c’était Michael Jackson. C’est fou. Il faut faire venir plus de policiers, il peut y avoir une émeute. » Alors, je lui ai dit : « OK, je suis désolé, vraiment désolé. » Michael était très réservée au début.
Michael était déjà là depuis environ deux heures quand Michael Jordan est arrivé dans sa BMW jusqu’à l’entrepôt. Il s’est garé, est sorti de sa voiture. Le chef de la police m’a regardé éberlué : « Vous vous foutez de moi ? » Il riait. J’ai répondu : « oui, c’est vraiment Michael Jordan et Michael Jackson ensemble. » « Mon Dieu ! » s’est-il exclamé en renforçant la sécurité. Je pense qu’il y avait plus de sécurité autour de Michael Jordan que pour Michael Jackson.
LE TOURNAGE
Kellogg : Je savais que ces types étaient des hommes exceptionnels physiquement. Nous savions qu’ils feraient l’un et l’autre un « cross over » dans le monde de l’autre… En général, dès que la musique démarre, les artistes commencent à faire quelque chose. Tout au début, Michael Jordan a montré à Michael Jackson comment jouer au basket et Michael Jackson a montré à Michael Jordan comment danser. Il n’y avait pas de script. On se contentait de diffuser « Jam » et de leur lancer le ballon. On les a laissé jouer et on a attendu pour voir ce qui allait arriver. A un moment, on a dit à Michael Jackson : «bon, montre-lui le moonwalk.» On diffusait la musique à ce moment-là, alors on n’a rien enregistré.
Rose : C’était très naturel. Je veux dire qu’il y avait beaucoup d’improvisation. Impossible autrement quand vous travaillez avec deux personnes qui ont des emplois du temps aussi chargés…. Jordan était un danseur un peu balourd et les sauts de Michael étaient probablement très maladroits. Notre but était seulement de saisir des moments et d’exploiter nos rushs. C’était plus un documentaire qu’un film. Chaque minute du tournage était irréel. Parfois quand on travaille, David et moi on plaisante : «Quand tu filmes une cascade ou une explosion, » je dis toujours à David : «regarde vraiment la scène, tu auras toujours le temps de te la rediffuser après.» Quand on travaille avec deux stars comme çà, chaque minute est importante. On était tout simplement admiratifs.
Kellog : Michael Jackson et son équipe se préoccupaient beaucoup de l’éclairage. Rien de secret et pas de règle quand les deux Michael étaient ensemble. C’était seulement quand Michael Jackson dansait que son équipe apportait beaucoup de soin à la lumière. Michael ne voulait pas de lumière projetée sur le côté du visage. J’imagine que Michel trouvait son visage anguleux et n’aimait pas l’ombre que çà faisait sur l’autre côté du visage. Il préférait un éclairage plutôt doux, de face, sur toute sa personne ou sur son visage. Derrière la caméra, on aurait dit un simple mur de lumière. C’était comme un éclairage qu’on utilise pour mettre en valeur un maquillage dans une publicité. Michael était très sensible à çà. Il tenait à ce que tout soit éclairé sur la scène avant d’apparaître dans le champ. C’est l’époque où il portait beaucoup ce type de masque chirurgical. Je le trouvais superbe mais il avait une mauvaise image à cause de çà.
Rose : Ce qui a augmenté un peu le coût de la video, c’est qu’on devait allumer les projecteurs à chaque prise. Autrement dit, habituellement sur le plateau d’un film, si vous filmez une scène dans une pièce, vous filmez un acteur et c’est fini. Pour le suivant, vous redonnez la lumière. Mais là, comme on n’avait pas beaucoup de temps avec les deux Michaels, nous avions installé partout dans l’entrepôt tous les projecteurs dont nous aurions besoin. C’est ce qui a augmenté le budget.
Kellog : Comme on avait annoncé une publicité pour une mayonnaise, personne ne nous a embêtés. Certains se demandaient tout de même ce qui se passait. Parfois, des grosses voitures ou des motor homes stationnaient devant l’entrepôt. Michael Jackson était vraiment sympa. Il y avait une foule dehors et il allait à la fenêtre régulièrement pour dire hello. Je pense que les gens étaient honnêtement un peu plus excités par la présence de Michael Jordan, probablement parce que c’était la ville où il habitait.
Rose : Il n’y avait pas de presse sauf NBA Entertainment parce qu’on avait très bien étouffé le contenu véritable de la vidéo. La police était furieuse de n’avoir rien su à l’avance. Je pense qu’on avait fait le bon choix. Vers la fin, il commençait à y avoir beaucoup de monde dehors. Heureusement, c’était notre dernier jour de tournage. On s’est arrangé pour ne pas trop nous faire remarquer.
LES PERSONNALITES
Kellogg : Tous les deux étaient sympas. Il était facile de travailler avec eux. Je pense qu’ils s’appréciaient vraiment l’un l’autre, çà se voyait. Michael Jordan s’est particulièrement bien comporté car c’était plus difficile pour lui. Michael Jackson était comme un enfant. Il avait apporté des water balloons, des Super Sakers et des voitures téléguidées. Michael taquinait Jordan et s’amusait à lui tourner autour avec un ballon de basket. Il n’avait pas une bonne position de shoot, même s’il adorait jouer au basket. C’était drôle de les regarder… Ils se déplaçaient de façon totalement différente.
Rose : Quand Jordan entrait en scène, Michael Jackson, tranquille et introverti, retournait dans son trailer. Michael Jordan était lui tout content de rester sur le court et de jouer avec son ballon. Il y avait des enfants qu’on avait fait venir. On ne leur avait pas dit avec qui ils joueraient. Aussi, çà a été pour eux comme un rêve éveillé de voir ce terrain de basket surréaliste au milieu de l’entrepôt. Jordan a été très élégant. Il était vraiment cool, pas distant, chaleureux et sympa.
Kellog : Jordan est resté avec nous trois jours. Un jour, il a su qu’il ne pourrait rester que deux heures. Je me souviens qu’il s’était retourné vers moi en tapotant son poignet comme pour montrer sa montre. Il savait l’heure et il savait que çà risquait de prendre davantage de temps. Il avait déjà fait suffisamment de tournages pour le savoir. Jordan pouvait rester attentif le temps d’une partie. Difficile de le contraindre davantage. On craignait de le voir partir. Parfois, on fait des petites choses pour retenir les célébrités. Là, on avait fait venir un jeu d’arcade afin de le distraire.
Rose : Michael Jackson avait une façon de travailler très particulière. Je m’adressais rarement à lui directement parce qu’il était très secret. Il tenait tellement à se tenir à l’écart que c’était son staff qui servait d’intermédiaire entre nous et lui tout le temps. Exemple : C’était un jour de tournage. Je l’appelle pour lui dire : « Michael, c’est à toi d’entrer en scène » et ses gens ont répondu : « ben, il arrivera beaucoup plus tard. » J’avais répondu : «OK, bien, on peut occuper la matinée à faire autre chose mais quand sera-t-il là, selon vous ?». Ils m’avaient répondu : «Et bien, il sera probablement là dans deux jours. » J’avais répliqué : «Non ! nous sommes à Chicago. Il était là hier. Que s’est-il passé ? » Ils m’ont dit : « Il avait un déjeuner de prévu ». Et j’ai dit alors : « Oh, OK, est-ce qu’il peut l’annuler ? Parce que ce tournage coûte cher !». Ils m’ont alors répondu : «Non, il est avec le Président. (George Bush à l’époque). Je me suis marré. » L’emploi du temps de Michael était loin de ma réalité… On a arrêté tout, juste pour que Michael puisse aller à son déjeuner. Nous sommes retournés à L.A. le temps que Michael revienne à Chicago.
Kellogg : Je me souviens que Michael Jackson était un peu malade. Je ne sais pas s’il avait la grippe ou autre chose. Il était assis dans un coin. On préparait une prise de vue. Il semblait aller mal, pas en forme. Mais dès qu’on a diffusé la musique, il s’est levé. A quelques mètres de là, c’était extraordinaire de le voir. Il était vraiment inspiré. L’équipe et tout le monde devaient penser : «comment peut-il tout d’un coup démarrer comme çà, être plein d’énergie et si précis ? » C’était incroyable. Cela nous donnait des frissons dans le corps.
C’était le milieu de la saison pour Michael Jordan. Fort de mon expérience de tournage de films publicitaires avec des athlètes, on ne l’a pas poussé pour qu’il reste aussi bon le soir.. Je me sentais personnellement responsable.
L’ACCUEIL DU PUBLIC
Kellogg : Avec le recul, c’était une video vraiment particulière. Je pense que les gens ont aimé. Les clips musicaux n’ont plus rien d’extraordinaire maintenant. Ce n’était pas le cas à l’époque. On pouvait vraiment faire des choix créatifs.
Rose : Les gens ont sincèrement aimé parce que c’était avec Michael Jordan, parce qu’il était une grande figure du basket et je ne pense pas qu’il avait fait çà avant. C’est aussi la façon originale qu’a David pour filmer les moments comme ils viennent. C’était vraiment nouveau. Il n’y avait que MTV pour diffuser les films musicaux. Maintenant, on peut aller n’importe où. J’en ai fait des clips, des pubs, des films, films TV ! Je peux dire que c’est avec « Jam » que j’ai eu le plus de liberté pour créer. Et ce n’était pas une question d’argent.
UN REGRET..
Kellogg : Rien à voir avec la réalisation. C’est quand les deux Michael étaient ensemble et qu’on essayait de le montrer dans le film. Pas facile. Je ne savais pas qu’elle était la nature de la relation entre les deux Michael. Peut-être même qu’ils ne s’étaient jamais vus avant. Ils étaient au top de leur carrières tous les deux et je n’y avais pas pensé. Si je devais refaire la vidéo, je crois que j’essaierais de mieux saisir ce moment. C’était le but de « Jam » et j’ai l’impression que je n’ai pas su le capter suffisamment.
Sources: ESPN / MJFC / mjfranceforum / Traduction: 2Bad.