Le 15 septembre 2007, Michael Jackson fêtait les 25 ans de son album « Thriller » en prenant la pose pour le célèbre photographe Bruce Weber, aux Studios Boylan à New York. Une série d’une trentaine de photos exceptionnelles du chanteur sera ensuite publiée dans le magazine de mode masculin italien L’UOMO Vogue, dans son numéro du mois d’octobre 2007, édition consacrée aux musiciens révolutionnaires. Michael y est habillé en Roberto Cavalli, Dior, Raf Simons, Prada, John Richmond et Burberry. Voici deux articles qui accompagnent ces photos, écrits par Roberto Croci puis Bruce Weber en personne.
« Thriller » fête ses 25 ans.
L’album le plus vendu de tous les temps, avec 104 millions d’exemplaires
« I love you », c’est ce que murmura le roi à la future reine pour clore cette journée heureuse et riche en événements. Les villageois, qui jusqu’alors retenaient leur souffle, laissèrent exulter leur joie, pour enfin ouvrir les festivités au royaume de Vogue. Ce grand roi avait enfin trouvé une femme courageuse, pleine de magie et surtout dotée d’une énergie incroyable. La petite princesse, après moult pérégrinations, venait enfin de voir tous ses rêves être couronnés. L’élue du roi obtint même la bénédiction du Magicien, lorsqu’il scella son destin en prononçant ces quelques mots : « A star is born » [« Une étoile est née »]. C’est ainsi, tel un compte de fées, que l’on pourrait narrer l’événement qui s’est déroulé sous mes yeux, comme par enchantement : la séance photo pour L’Uomo Vogue de Michael Jackson (le Roi de la Pop), avec Bruce Weber (le Magicien) et la fashion editor Rushka Bergman (la princesse). Tout ceci à l’occasion du 25ème anniversaire de la sortie de Thriller, l’album qui s’est le plus vendu de toute l’histoire de la musique. Mais je préfère vous raconter l’histoire normalement, comme on le ferait dans un journal intime, à travers les paroles de la styliste.
14 septembre 2007, j’arrive à New York en provenance de Los Angeles. Le portier m’ouvre et voici Rushka Bergman – avec ses longs cheveux noirs et ses lunettes vintage années 60 – qui me salue avec un fort accent d’Europe de l’Est : « Comment vas-tu darling ? » Sans plus tarder, je lui demande tous les détails sur ce qui a précédé mon arrivée à l’hôtel Four Seasons, à quelques minutes de notre rencontre avec Michael Jackson. Rushka m’explique que c’est lors d’une conversation avec Marek, son agent, le 22 août dernier qu’elle lui avait donné l’idée de faire une séance photo avec le Roi de la Pop pour fêter les 25 ans de Thriller. C’est alors qu’il a envoyé une lettre à l’agent de Jackson, Raymone K. Bain, qui leur a fait savoir par téléphone qu’elle les tiendrait au courant…
2 septembre à Broadway, juste en face du cinéma Angelika. Son portable sonne, c’est Raymone qui appelle pour confirmer la séance photo. « Mon Dieu, mais alors les rêves se réalisent vraiment ! », s’exclame Rushka. Michael Jackson sera disponible les 14, 15 et 16 septembre.
5 septembre. Heureusement pour nous, Bruce Weber – qui avait un planning plein à craquer pour les six mois à venir – est libre ces trois jours-là également. Elle se souvient : « J’étais nerveuse. Weber est comme un dieu pour moi. Mais je me suis dit que compte tenu de sa grande expérience dans le domaine de la photo, je n’avais pas d’inquiétude à avoir. Cette fois, c’était à moi [d’assurer]. » Le travail d’un fashion editor consiste plus à l’organisation de la séance que le fait d’en sélectionner les vêtements. Elle doit tout prévoir : le photographe, les coiffeurs, maquilleurs et autres professionnels de la mise en scène photo. « Pour quelqu’un comme moi, qui connaît par cœur les œuvres de Engels et de Marx, je n’aurai aucun mal à faire ça, » dit-elle, « Michael aime s’habiller de façon sobre, les chemises blanches, les vestes noires… un look très Uomo Vogue en somme. Son couturier préféré est Roberto Cavalli, ils sont très bons amis et ont travaillé ensemble. Mais j’aime bien mélanger les genres, voir ce qui va ensemble. Après tout, mon travail c’est d’exprimer mes idées ».
Du 6 au 13 septembre. Tout est prêt. « En une semaine je suis allée dans une vingtaine de showrooms, j’ai réussi à avoir trois cent looks créés par soixante designers, ainsi que 178 paires de chaussures. De tous les vêtements qu’on lui a présentés, il y a ce manteau de style militaire que Michael préfère, celui de chez Burberry. J’ai pu obtenir des tenues venant des maisons de couture du monde entier : Paris, Londres, New York, Milan… Personne ne nous a rien refusé. J’ai même trouvé des chemises hallucinantes couvertes de strass et qui pèsent 5kg ! » Le Roi de la Pop a les plus beaux vêtements de la planète à sa disposition.
14 septembre à l’hôtel Four Seasons. A la veille de la séance, Rushka a le trac mais elle reste concentrée. Nous sommes en taxi, suivis de deux camions transportant vingt portants d’habits. On a pris de tout, sauf de la fourrure car Michael n’aime pas ça. Nous nous sommes même faits fouiller par la sécurité du joallier Jacob & Co., à qui nous avons emprunté la valeur de 2 millions de dollars en bijoux. Une fois dans une salle de l’hôtel : « Pour la toute première fois, je vois Michael assis au fond de la pièce, » se souvient-elle, « mon coeur bat la chamade. [Je lui fais la présentation de tous les modèles], puis Michael me dit : ‘Rushka, les vêtements que tu m’as aportés sont sublimes, alors je t’écoute, conseille-moi sur quoi porter.’ Michael est sexy, il a une taille de mannequin, et tout ce qui est Dior lui va vraiment à la perfection. Pour le reste, il n’a fallu qu’un minimum de retouches. C’était mon tour à présent. Je devais satisfaire Michael Jackson, le magazine, Weber, les créateurs, tout ça sans dévaloriser mon style ni mes choix. » De retour à son appartement, elle allait réfléchir aux tenues qu’elle assemblerait pour la séance. Mais une fois au lit… « Difficile de fermer l’oeil. Toute la nuit je n’ai pas arrêté de me réveiller. Je pensais à des millions de choses. A 8h je me suis levée et j’ai pris à taxi pour me rendre à la séance. »
15 septembre, 10h, sur le lieu de la séance. Pendant que Kabuki maquille Michael et que Bruce prépare tout le reste, Rushka se met à faire des groupes de vêtements : vestes, pantalons, accessoires, chaussures. La première tenue qu’elle choisit deviendra celle apparaissant en couverture : costume Dior Homme et chaussures Prada – tous deux noirs – plus un collier signé Jacob & Co. « On a tout de suite eu un bon feeling tous les deux : je n’avais qu’à lui passer des habits pour qu’il les enfile, sans broncher. Je lui ai assuré que c’était ce qui se faisait de mieux », dit Rushka. 15h : « Avec du Mozart en fond sonore, on sentait comme une onde d’énergie positive envahir le plateau, tout le monde était concentré dans leur travail et enthousiaste à la fois. C’est comme quand beaucoup de personnes se réunissent dans un même effort… L’énergie est tellement forte que leur projet se concrétise, et peu importe le temps que cela leur a pris. Tôt ou tard on ressent forcément ce déclic magique. C’est à cet instant précis qu’on a mis ‘Thriller’, les gens ont commencé à danser et là… tout d’un coup… il est entré. Plus un bruit dans l’assistance. Michael Jackson nous a dit ‘Bonjour’ avant de se placer face à l’objectif, il nous a regardés, a demandé à ce qu’on monte le son puis s’est mis à danser en esquissant ces pas qui l’ont rendu célèbre, comme dans le clip de John Landis. Cette magie-là relevait du miracle. Et puis il n’a plus cessé de danser. Voilà un performer professionnel, un génie, c’est lui qui nous a guidés à travers toute la séance, qui nous a invités dans son univers. Et pendant que Michael dansait, Bruce prenait photo sur photo. Lui aussi est un vrai génie, il n’est pas là pour plaisanter. » 22h : « Après avoir pris des centaines de photos de Michael avec cinq tenues différentes, notre séance était terminée. Il s’est levé, s’est approché de moi en me disant : ‘Ma chérie, je t’adore’. Puis il m’a serré la main et a remercié tout le staff – et je dis bien tout le monde. Nous l’avons tous applaudi pendant un très long moment. »
16 septembre. Le lendemain, Rushka se réveille transformée. « J’ai l’impression d’avoir appris quelque chose, qu’il s’est produit quelque chose dans ma vie qui restera à jamais gravée dans ma mémoire. Ce que j’ai fait est surréaliste, et grâce à cet événement, je me rends compte que c’est ça que je veux vraiment faire pour le reste de ma vie. Pas mal comme conclusions après une journée de boulot ! »
Dans L’Ombre de L’Amour
La première fois que j’ai rencontré Michael, c’était vers la fin des années 70. Andy Warhol m’avait demandé de photographier un groupe de garçons qu’on appelait les Jackson Five pour Interview Magazine. Ils étaient descendus dans un hôtel en plein coeur de New York avec leur tutrice pendant leur tournée. C’était une femme très élégante, elle ressemblait presque à l’un des personnages de « The Women », le film de George Cukor. Lorsque j’ai commencé à prendre mes photos, Michael et ses frères faisaient une bataille de polochons, et elle tentait tant bien que mal de leur dire de se comporter correctement. Michael ne prenait pas la pose, tout ce qui l’intéressait était de chercher les critiques écrites sur lui dans le journal.
C’était il y a près de trente ans, et depuis j’ai eu l’occasion de rencontrer sa charmante soeur Janet, d’avoir des amis en commun avec lui, comme Bernie Yuman (l’agent de Muhammed Ali), le réalisateur Brett Ratner, ainsi qu’une dame d’exception, Elizabeth Taylor.
Depuis de nombreuses années, Michael et moi souhaitions refaire des photos ensemble, mais étant toujours chacun très occupés et surtout trop éloignés l’un de l’autre, ce projet n’avait pu se concrétiser avant aujourd’hui. Pour une fois, ce fut une chance de nous trouver tous deux à New York en même temps. Je tenais à le prendre en photo maintenant au lieu de lui envoyer un mot de remerciement pour lui exprimer tous les instants joyeux que j’ai vécus à l’écouter, à le regarder danser. Chacune de ces occasions marquaient un événement important de ma vie de fou : quand je tombais amoureux, que je conduisais la voiture de mes rêves, que j’adoptais un chien, que je prenais des photos de ma famille ou que je sirotais des bières avec mes amis. Si je devais compter toutes les fois où Michael a apporté de la vie à mes photos, il y en aurait des milliers. Le rythme et l’âme de sa musique m’encourageaient à prendre tellement de photos que je n’avais jamais assez de pellicule, j’en usais même tous mes appareils photo.
Alors voilà Michael, accepte toute ma gratitude car tu tiens une grande place dans le coeur de beaucoup de gens. Et comme disent les jeunes : « Michael est dans la place alors allons-y ! » – « On n’a qu’à prendre quelques photos et on verra s’il nous fait atterrir sur la lune, une fois de plus. »
New York City
2007
Ils ont dit…
Bruce Weber (en réponse à l’email d’un fan), début octobre 2007: « C’est toujours un plaisir de travailler avec Michael, il rend le travail amusant. Il aime se mettre immédiatement au boulot, ce qui ne l’empêche pas de jouer aussi, et de rendre le travail plaisant. Je connais Michael depuis des années et j’ai été heureux de le revoir. C’est un homme très ambitieux qui bosse dur. Je sais que ses fans se posent des questions sur son nouvel album et ses projets à venir. Il m’a effectivement confié quelques infos très enthousiasmantes, mais je lui ai promis de ne rien dévoiler… »