Interview Magazine: Melody Maker du 1er mars 1980

Michael au pays des merveilles

La voix en provenance de la Côte était aussi douce que celle d’un enfant. C’était Michael Jackson, qui nous appelait pour nous rappeler les règles de base pour notre interview.

CBS International m’avait déjà mis en garde contre les questions comparant les Jackson à des familles d’artistes similaires, et contre les questions évoquant des empires avec plein de dents blanches et d’émissions spéciales à la télé… rien non plus sur les Mormons… ceux qui viennent de l’Utah. Bien sûr j’ai cédé, et de toute façon je ne lui demanderai pas ce qu’il pense de Baudelaire ou de l’Afghanistan. Autre chose ? Ah oui, on m’avait dit que je devais m’attendre à recevoir un appel de Michael en personne, et nous y voilà, en direct live. Sonnerie. Téléphone. Avec quelques conditions à la clé.
Il voulait que je pose mes questions à sa sœur. Puis elle était censée lui répéter les questions. Il a dit que cela avait à voir avec « une chose à laquelle je crois ».

Oh. Vous voulez donc dire que je dois vous laisser les questions, et que je dois revenir chercher la bande de l’enregistrement plus tard, mais que je ne serai pas là pendant l’interview ?
Non, a-t-il répondu, je pouvais être là, et il me répondrait.
Hum, ai-je pensé, c’est une tournure toute nouvelle pour moi. De quoi pouvait-il bien avoir peur ?
Bien sûr, ai-je finalement dit, on fait ce que vous voulez, ce qui vous mettra le plus à l’aise.
Bizarre.

Programmer une interview de Michael Jackson est une entreprise délicate, spécialement parce que ses propos ont été déformés dans une grande publication américaine. Seule une bonne dose de patience et de politesse a réussi à le faire fléchir.
Ils ont dit que les Jackson avait vendu plus de disques que quiconque, exceptés les Beatles, mais que c’était toujours Michael qui avait le plus de charisme. En 1970, quand il n’était qu’un petit poids plume de onze ans, qui se pavanait, tournoyait, chantait, avec une telle sophistication malgré son jeune âge, Michael avait une aisance naturelle que les filles plus âgées de dix ans n’arrivaient même pas à retrouver chez leurs propres petits-amis. De plus, son adorable 1,40 mètre était plutôt loin d’être menaçant. A la fin des années 60, « Black is beautiful », mais tout de même quelque peu effrayant pour les Blancs.

Avec Michael cependant, Black pouvait aussi vouloir dire « mignon », et cela, peut-être pour la première fois de la décennie.
En 1979, l’album familial Destiny est devenu double album de platine, et ils réunissaient chaque soir 10 000 personnes dans les plus grands stades d’Amérique. Michael, toutefois, a vendu 3 millions d’exemplaires de l’album Off The Wall à lui tout seul. Lors des American Music Awards en janvier, il était au coude à coude avec Donna Summer en gagnant les prix de Meilleur chanteur masculin de soul, Meilleur album soul, et Meilleur single soul (pour son titre Don’t Stop Til You Get Enough, dont il est l’auteur).
Maintenant, il s’apprête à concourir pour les prix de Meilleur enregistrement disco et Meilleure performance vocale R&B aux prochains Grammys.

Off The Wall s’en est plutôt bien tiré avec les critiques et a récolté les louanges du très guindé Rolling Stone, et s’est placé en fin d’année dans le Top 20 de l’ultra-discriminant Village Voice. Il semble que personne n’aime Michael Jackson.
Maintenant âgé de 21 ans, Michael est passé de « mignon » à carrément beau. On peut désormais le voir à l’écran sortir d’une espèce d’étrange fumée, entouré de lasers verts, avec une combinaison noire pailletée étincelante telle une cotte de mailles des temps modernes, et soudain, le petit gamin d’autrefois est devenu un prince adulte. Sa présence sur scène est fabuleuse – chaque geste claquant avec une autorité nette, des yeux clignant sous de longs cils, et un sourire radieux d’un autre monde – et vous comprendrez alors pourquoi tout le monde commence à le surnommer le « Sinatra noir du XXème siècle ».

Il est tout naturel de se demander à quel point le feu émotionnel vient du cœur, et à quel point le mimétisme s’est trouvé aiguisé par le temps. Certains disent que Michael est très orienté vers la famille, très croyant, et très droit. D’autres disent que, choyé par son travail et sa famille, il s’est isolé de manière aussi antiseptique que s’il avait été placé dans une bulle en plastique.
« Je n’y crois pas », maugrée une éditrice de fanzine cynique qui en est à son quatrième scotch. « Comment peut-il éviter toutes les filles qui lui courent après ? ».
Les curiosités vulgaires mises à part, ce gars attire énormément l’attention – et il semble pourtant avoir préservé énormément de charme. Finalement, j’irai donc en pensant comme ça : Michael Jackson semble avoir échappé aux tortures habituelles liées à l’adolescence avec une rare pureté d’âme, non seulement intacte, mais aussi grandissante.

Notre Cadillac grise est sortie d’Hollywood, s’est dirigée vers les collines, puis s’est glissée vers les immeubles de la Vallée de San Fernando.
Non loin de l’agitation d’Encino, nous arrivons devant un portail en fer ouvert, sonnons à l’interphone pour que les habitants viennent chercher le doberman qui se trouve sur la pelouse, puis nous nous engageons dans une vaste allée qui conduit à une vaste maison à un étage. Il y a une Rolls et quelques Mercedes éparpillées ici et là, mais le camping-car beige garé sous les paniers de basket donne la petite touche familiale. C’est un endroit très confortable de la classe moyenne supérieure, mais on est loin du palais qu’ils auraient les moyens de s’offrir s’ils le voulaient.

Janet, 13 ans – elle-même enfant star dans la série télévisée Good Times – ouvre la porte comme une jeune enfant dévouée, de petites perles dorées cliquetant au bout de ses fines tresses à la Bo Derek. Les parents ne sont pas là, pas plus qu’un manager ou un garde du corps. En fait, moi-même et Shirley Brooks de CBS (qui se retire poliment dans sa tanière pour regarder la série 200 dollars plus les frais pour les deux prochaines heures) sommes les seuls adultes sur place.

Et voilàààààààà Michael ! Arrivant silencieusement dans le hall couvert de moquette pour nous serrer la main, le charismatique Michael Jackson semble être un jeune homme plutôt gentil, doux, voire discret. Il porte un pull en tricot orange, un pantalon sombre, et de grandes chaussures vernies noires qui donnent l’impression d’un chiot ou d’un poulain encore fragile sur ses pieds.
Michael me rappelle que j’ai donné mon accord pour que sa sœur joue le rôle de l’interprète, puis nous nous dirigeons vers le salon jaune citron, lumineux et sans prétention. J’avais déjà décidé de commencer par les questions les plus banales possibles, pour qu’il puisse avoir le temps de voir toute mon humanité, mais ça, Michael ne le sait pas. Il fait craquer ses articulations pendant que j’installe mon enregistreur, jusqu’à ce que Janet – assise entre nous – le réprimande doucement. Il sourit et se détend. Tout au long de notre entretien, elle a tendu la main pour lui tirer les cheveux ou lui caresser le bras, pour le rassurer.

Commençons par Quincy Jones – tout le monde adore sa production d’Off The Wall. Quincy se souvient avoir rencontré Michael chez Sammy Davis quand le jeune garçon n’avait que dix ans, et le premier souvenir de Michael au sujet de Quincy date des coulisses d’une œuvre de charité de Mohamed Ali, mais leur « vraie » rencontre date du moment où ils ont travaillé ensemble sur The Wiz en 1978.
J’aimerais donc savoir comment Michael a décidé que Quincy serait le meilleur producteur pour son album.
« Comment as-tu décidé de travailler avec Quincy ? », répète Janet. Michael sourit. Bon début.
« Un jour, j’ai appelé Quincy pour lui demander s’il pouvait me suggérer des grands noms qui pourraient avoir envie de travailler sur mon album. C’était la première fois que j’avais écrit et produit toutes mes chansons, et je recherchais quelqu’un qui pourrait me donner cette liberté, quelqu’un qui n’aurait aucune limite, musicalement parlant. Quincy m’appelle ‘Smelly’, et il a dit ; ‘Eh bien Smelly, pourquoi est-ce que tu ne me laisserais pas faire ?’. J’ai répondu : ‘C’est une excellente idée !’ ».

Michael rit comme s’il ne pouvait toujours pas croire qu’il avait pu être si naïf.
« Tout cela a l’air de sonner faux – comme si j’avais essayé de lui faire des allusions – et pourtant ce n’était pas le cas. Je n’y pensais même pas. Mais Quincy fait du jazz, des musiques de films, du rock n’roll, du funk, de la pop – il est éclectique, et c’est avec ce genre de personne que j’aime travailler. Je suis allé chez lui à peu près tous les deux jours, et nous avons travaillé ensemble ».
Michael est fier de cette approche « éclectique », et la rumeur dit qu’il envisage de boycotter les Grammy Awards, malgré ses deux nominations, pour protester contre le fait d’être classé dans les catégories réductrices disco et R&B. Désormais il coche la case des variétés qu’il aime écouter : Supertramp, la musique folk, la musique classique, la vieille musique espagnole, Renaissance.
« J’ai toutes sortes d’enregistrements et d’albums que les gens ne penseraient sûrement pas trouver chez moi. J’adore Some Girls. Bien sûr, il [Jagger] a eu des problèmes avec ce qu’il a dit. Je n’aime pas du tout la vulgarité. Vraiment, pas du tout ».
Le travail de Rod Temperton est plus du goût de Michael ; il a quitté le groupe Heatwave pour écrire Rock With YouOff The Wall, et Burn This Disco Out.

Quincy avait-il de bonnes idées pour Michael ?
« Quincy avait-il de bonnes idées pour toi ? », murmure Janet.
« Il y a une énorme coïncidence sur cet album. Vous connaissez la chanson de Paul McCArtney que j’ai faite, Girlfriend ? La première fois que j’ai rencontré Paul McCartney, c’était sur le Queen Mary, puis je l’ai rencontré à nouveau lors d’une fête qu’il a donnée dans la propriété d’Harold Lloyd ici à Los Angeles. Lui et Linda sont venus me voir et ont dit : ‘Nous t’avons écrit une chanson’, et ils ont commencé à chanter : ‘Girlfriend, da-da-dee-dee-dee-dee’. J’ai dit : ‘Oh, j’aime vraiment beaucoup, quand est-ce qu’on peut se rencontrer ?’. Donc il m’a donné son numéro en Ecosse et son numéro à Londres, mais finalement nous ne nous sommes jamais rencontrés à ce sujet. Ensuite, j’ai remarqué qu’il avait inclus cette chanson sur l’album London Town. Puis un jour, je suis allé chez Quincy qui m’a dit : ‘Tu sais quelle chanson serait géniale pour toi ? Cette chanson de McCartney, celle qui s’appelle Girlfriend’. J’ai flippé ! ».

Michael rigole en pensant à la genèse de ce succès.
« Paul McCartney m’a envoyé un télégramme il n’y a pas très longtemps en disant à quel point il préférait ma version à la sienne, et maintenant je vais faire quelques petites choses sur son prochain album. Nous allons écrire deux ou trois chansons ensemble, en équipe – c’est l’un de mes prochains projets après l’album des Jacksons en mars. Si je chante, ce sera sympa, mais c’est à lui de décider, parce que c’est son album ».

Est-ce que Michael travaille réellement jour et nuit comme il l’a écrit dans la chanson ? Janet lui pose la question.
« J’aime bien faire ça », dit-il en hochant la tête. « Working Day and Night est très autobiographique à bien des égards, même si j’ai poussé l’idée jusqu’à prétendre être marié dans cette chanson. Mais ce n’est pas un travail d’esclave, j’adore ça, sinon je n’aurais pas survécu aussi longtemps ».
« Longtemps » est le bon terme. Michael a commencé dans le divertissement à Gary, dans l’Indiana, quand il avait six ans, et après quinze ans, il est probablement l’enfant-star qui a la plus grande longévité depuis Shirley Temple. Elevé sous les projecteurs, ce garçon a grandi dans la magie. Aucun artiste n’est plus « naturel » que Michael Jackson.

La plus grande partie de son travail est-elle spontanée ?
« Je vais vous dire la plus stricte vérité », dit-il, oubliant d’attendre le tour de Janet.
« Je n’ai jamais su ce que je faisais pendant mes jeunes années – je le faisais, c’est tout. Je n’ai jamais su comment je chantais. Je ne contrôlais pas vraiment, ça venait tout seul. Malgré tout, j’adorais. Et j’adorais aussi regarder les autres faire. »
« Ma façon de danser vient spontanément. Je fais certaines choses depuis des années, jusqu’à ce que les gens disent que j’ai un style, mais ce sont des réactions spontanées. Certaines personnes ont nommé certaines danses d’après les miennes, comme le spin que je fais, mais je ne me rappelle pas comment j’ai commencé le spin – c’est venu comme ça ».
« A partir du moment où j’entre dans une pièce, je réfléchis beaucoup. J’ai beaucoup appris en m’entraînant en privé, surtout à la maison, au point d’abîmer le sol. J’ai trouvé génial de pouvoir se lever le matin et d’avoir un grand miroir dans ma chambre pour décomposer les mouvements ».

Evidemment, il est loin d’avoir un passé de rebelle qui se bat dans la rue. Contre quoi se rebeller ?
« J’adore le monde de la danse, parce que danser, ce sont des émotions qui passent dans les mouvements du corps. Et quelle que soit la sensation ressentie, vous faites ressortir vos sentiments les plus profonds à travers votre humeur. Beaucoup de gens ne pense pas à l’importance de tout cela, mais il y a un aspect psychologique qui consiste à laisser tout s’échapper. Danser est important, comme rire, pour relâcher les tensions. S’évader… c’est génial ».
« Je pense vraiment que chaque personne a une destinée dès le jour de sa naissance, et certaines personnes sont vouées à accomplir certaines choses. Il y a une raison pour laquelle les Japonais sont meilleurs en technologie, une raison pour laquelle la race noire est meilleure en musique, c’est le retour en Afrique, les tribus et le battement des tambours ».
« J’aime penser à l’origine des choses et apprendre de cela. J’adore Bill Robinson et tous ces artistes de vaudeville qui sont vraiment à l’origine de la danse. Et j’adore littéralement Fred Astaire. C’est un ami, et il a dit de très beaux compliments. Il a dit : ‘J’en sais beaucoup sur toi jeune homme’. Nous ne vivions pas très loin de lui, à Beverly Hills, et il me dit qu’il me voyait tous les jours sur ma moto, et qu’il klaxonnait. Il m’a dit qu’il adorait mon travail, et que je faisais beaucoup de choses qu’il ne faisait même pas à ses débuts ».
« Vous voyez, quand il est allé en studio pour la première fois, ils ont dit : ‘Il ne sait pas jouer, il n’est pas beau, et il sait à peine danser’. Ils ont dit qu’il était moche parce qu’il est devenu chauve dans la vingtaine. Dans les films que vous voyez ce ne sont pas ses cheveux, vous voyez, il avait une prothèse. Mais il est resté là-dessus, jusqu’à ce qu’il ait finalement un projet avec Joan Crawford, et il a tout déchiré ».
« Il ne lâchait rien jusqu’à ce que ce soit parfait. Il pouvait rester sur une seule mesure d’une chanson pendant une semaine entière, et il m’a dit que lui et Ginger Rodgers mettaient trois mois pour faire un numéro de danse entier. Qui procède de cette façon aujourd’hui ? Personne. Et pourtant ils devraient. On peut détecter la perfection rien qu’en regardant ».
« La chose que j’ai toujours détestée à la télé et en tournée, c’est qu’on est toujours pressé par le temps. Dans le futur je jouerai et danserai dans des films de la façon dont cela devrait être fait, pas d’une façon complètement folle et dingue quand on doit faire trois numéros de danse en seulement deux heures. Dans les quelques émissions spéciales que nous avons faites, je hurlais toujours à ce sujet. Je disais : ‘Tout ce système est vraiment ignorant. Ça ne va pas, ça ne va pas du tout !’ »

Michael Jackson hurle ? Eh bien, peut-être que de n’est pas si déraisonnable, étant donné qu’il a été élevé comme une race spéciale de créature scénique.
« Je n’ai pas du tout d’égo », prétend-il. « Je veux dire, tout le monde a un égo, mais je ne pense pas que je suis génial et que je suis meilleur que ceci ou que cette personne à cause de ce que je fais. Je me sens totalement désolé pour les gens qui n’ont pas ce sentiment. J’adore juste ce que je fais, et je crois beaucoup à l’entraînement et au fait de s’améliorer. C’est comme ce que l’on ressent à l’église, quand l’esprit entre à l’intérieur de quelqu’un et lui fait perdre son self-control. Je suis une personne totalement différente quand je danse ».

En fait, c’est cette « personne totalement différente » qui fait que le « vrai » Michael Jackson se sent si vulnérable au point de vouloir se rendre invisible dans la vie de tous les jours. Michael n’a pas du tout le trac sur scène – il a le trac en dehors.
« Beaucoup de gens ne conçoivent pas que l’on soit une autre personne sur scène. Ils ne comprennent pas. Ils viennent me voir et me disent : ‘Chante-nous quelques mesures de Rock With You’, ou ‘Fais ce pas de danse que tu fais à la télé’. Et je suis vraiment embarrassé. Si deux personnes m’abordent dans la rue, alors – ooooh – c’est très dur. C’est très très dur ».
« Je ne sors pas vraiment en boîte ou en discothèque. Parfois vous pensez que vous pouvez vous faufiler dans un cinéma et que personne ne vous verra, mais dès que vous passez la porte vous vous retrouvez avec un stylo, une photo ou un morceau de papier sous le nez ».

Mais il y a pourtant un endroit où il se rend. Le seul endroit où il aime aller, c’est le Studio 54 à New York.
« C’est un endroit si théâtral et dramatique », dit-il. « Les gens vont là-bas en jouant le rôle d’un personnage, et c’est comme aller voir une pièce. Je pense que c’est la raison psychologique de toute la folie autour du disco : tout le monde veut faire partie d’un rêve. Vous faites en sorte de devenir une personne, et vous devenez dingue quand les lumières s’allument et quand la musique retentit, vous êtes dans un autre monde. C’est une vraie échappatoire ».
« Mais je ne participe pas vraiment. Je me contente de monter au balcon et de regarder toute cette folie, et faire le plein d’idées. Il est important de savoir comment être et comment se sentir face à un bon public, de savoir ce que ce public veut ».
« Les gens qui m’y voient ne se comportent pas bizarrement – ils me disent juste bonjour ou me font un signe de tête, puis elles partent – et c’est pour cette raison que beaucoup d’artistes vont là-bas, c’est un endroit où vous pouvez être comme tout le monde. Tout le monde est au même niveau ».
« Le seul moment où j’ai dansé dans un tel endroit, c’est quand Liza Minnelli est venue et m’a poussé sur la piste. Elle est tellement agressive. On commence à danser, et une fois qu’on a commencé à danser – oooohh ! – c’est tellement difficile de quitter la piste. Dès qu’on commence on a du mal à arrêter. C’est comme si on était accro ».

Un perroquet dans une autre pièce se met à couiner : « Michael ! … Michael ! ». Désormais, Janet est une spectatrice, elle reste assise sagement. Je demande si la plupart des amis de Michael sont des artistes, et il acquiesce.
« La plupart du temps, ils comprennent plus facilement. Tatum [O’Neal] m’appelle et me dit : ‘Hey, tu veux aller quelque part ?’. Ou quand Stevie [Wonder] veut sortir, il m’appelle. Quand l’exposition Toutankhamon était là il voulait y aller. Bien sûr il ne peut pas voir, mais il ressent, et il adore aller au musée ».
« Je sors très rarement, mais à chaque fois que quelqu’un m’appelle pour sortir, je sors. J’adore le roller skate, mais je ne fais pas de sports trop dingues. Je ne conduis pas depuis longtemps, je le fais, mais je pense tout le temps à abandonner. Je ne conduis pas du tout sur autoroute, je reste dans une certaine zone et j’essaie d’être extrêmement prudent. Comme un hémophile qui ne peut pas se permettre de s’égratigner ».

Apparemment, ce jeune homme n’est pas controversé comme Errol Flynn, et pourtant il y a de nombreuses fausses rumeurs à son sujet, comme il vous le racontera volontiers. Quelques sujets juteux sont risibles et loin du personnage de ce doux hôte qui nous reçoit dans le salon de sa famille.
« Je reçois toujours de nombreuses lettres qui me demandent si j’ai changé de sexe, ou si j’aime les hommes, ou qui pensent que je suis marié à Clifton Davis ».
Janet l’interrompt : « Il y a une fille qui a été tellement bouleversée quand son ami lui a dit cette rumeur qu’elle s’est jetée par la fenêtre. Je crois qu’elle est morte ».
Certains fans de Michael ont tellement d’imagination qu’ils en font même une personne neutre – du style « As-tu réellement besoin d’aller aux toilettes ? ».
Ce problème n’a toutefois pas l’air d’inquiéter beaucoup Michael. Quand il parle de fonder une famille – « dans un futur lointain » – il parle d’adopter des enfants, mais pas de procréer lui-même. (« Je n’ai pas besoin d’apporter ma contribution personnelle au monde »).
« Qui dit qu’il faut être marié à un certain âge ? Qui dit qu’il faut quitter la maison à 18 ans ? Qui dit qu’il faut savoir conduire à 16 ans ? Je n’ai pas conduit avant l’âge de 20 ans, et je ne veux toujours pas conduire. Quincy ne sait pas conduire, il ne sait pas du tout trouver son chemin. Cela n’en fait pas quelqu’un de stupide, cela veut juste dire qu’il ne veut pas conduire ».

Michael rit. Ecoutez, si vous aviez eu l’enfance de ce gars, peut-être que vous voudriez rester éternellement jeune vous aussi.
« L’un de mes passe-temps favoris, c’est d’être avec les enfants – les emmener, jouer avec eux, se rouler dans l’herbe. Ils sont l’une des principales raisons pour laquelle je fais ce que je fais. Les enfants sont bien plus que les adultes. Ils savent tout ce que les gens essaient de trouver – ils connaissent tellement de secrets – mais c’est difficile pour eux. Je sais le reconnaître et j’apprends d’eux ».
« Ils disent des choses étonnantes. Ils passent par des étapes brillantes, comme des génies, mais quand ils atteignent un certain âge, ils perdent tout. Tellement de personnes pensent que certaines choses sont enfantines, pourtant les adultes ne sont que des enfants qui ont perdu cette vraie magie parce qu’ils arrêtent de remarquer, de creuser, de chercher. J’y crois profondément ».
« C’est pourquoi je n’ai jamais pris de drogues ou consommé d’alcool. Je n’ai jamais plané. J’ai goûté le champagne, mais je n’en bois pas. Quand des gens portent un toast, je trempe juste mes lèvres. Parce que j’aime beaucoup la nature – comme elle ».

Il désigne Janet, qui sourit.
« Je sais ce qu’un arbre ressent quand le vent souffle dans ses feuilles. Il se dit probablement : ‘Oooooohhhh, c’est merveilleux’. Et c’est comme ça que je me sens quand je chante quelques chansons. C’est merveilleux ».
« De plus, je suis dingue d’oiseaux, d’animaux et de chiots. Et j’adore les animaux exotiques. J’ai des lamas, des paons, un nandou, qui est le deuxième oiseau avec la plus grande envergure au monde, un ara, qui est le plus grand perroquet d’Amérique du Sud, des faisans, des ratons laveurs, des poulets… tout. Je vais avoir toute une faune. J’ai aussi un flamand rose. Je ne pense pas vouloir de cougar, mais j’aimerais avoir un chimpanzé – ils sont tellement doux. Ooooohhh, je m’amuse tellement avec les animaux ».
Ce gars est sérieux les amis. Michael bouillonne tandis qu’il continue.
« J’ai une relation merveilleuse avec les animaux, ils me comprennent vraiment. Quand j’ai eu mes lamas, je leur parlais avec un certain vocabulaire, et ils me comprenaient et couraient vers moi ».
« J’aimerais bien faire des études vétérinaires et étudier le comportement des animaux. Les chiens voient en noir et blanc. Les chiens peuvent même voir le vent. Et le cobra royal, qu’est-ce qui fait qu’il se lève quand on joue du pipeau ? ».

Le sourire de Michael Jackson se répand comme un coucher de soleil, comme s’il avait des visions.
« Et les baleines. En haut de la maison de mon frère sur la plage, nous les regardons et les voyons jaillir ».
Michael passe sa main sur ses sourcils.
« Ce genre d’instinct qui vient de Dieu est juste incroyable ».

Le silence s’installe dans la pièce. Janet s’approche et caresse doucement le bras de son frère aîné.
Je finis par marmonner quelque chose au sujet de son album dédié à L’Année de l’Enfant, et la superstar au cœur tendre finit par redescendre sur terre.
« Je suis facilement effrayé et blessé, et les informations m’effraient énormément, même si je ne suis pas directement impliqué dans les problèmes des autres. J’ai entendu aux infos qu’à Big Bear Lake, un petit garçon a fêté Noël avec un mois d’avance, et que le Père Noël était venu chez lui, parce qu’il ne lui restait plus qu’une semaine à vivre. Effectivement, il est mort dans la semaine, et ça m’a fait tellement de mal ».
« Je rencontre des enfants comme ça tout le temps quand je visite des hôpitaux. Les médecins et les infirmières leur demandent : ‘Si vous pouviez aller là où vous voulez, ou si vous pouviez faire ce que vous voulez, que souhaiteriez-vous ?’. Et ces gamins demandent à voir les Jacksons. Ils disent : ‘Vous devez aller voir cette petite fille, elle va mourir demain, et depuis qu’elle est sortie de chirurgie elle vous réclame’. Et mon Dieu, je me sens merveilleusement bien à l’idée de faire partie du rêve ultime de quelqu’un. Toute ma vie passée à travailler est ainsi récompensée ».

On m’avait dit que Michael ne plaisantait pas avec les gens, et que même quand il dit quelque chose d’incroyablement banal, il est sincère, et moi, je mords à l’hameçon. Il le faut absolument une fois que l’on commence à comprendre la conception qu’a ce gamin de sa position dans le monde, son sens des responsabilités en ce qui concerne la notion d’immortalité des célébrités.
« Je dis aux enfants : ‘On se voit l’année prochaine’. Et parfois, la seule pensée que je serai de retour l’année suivante les aide à tenir le coup. C’est arrivé plusieurs fois. On m’avait dit que cette petite fille allait mourir, j’ai continué à aller la voir pendant à peu près trois ans – et elle est morte la quatrième année. Les médecins ne pouvaient plus rien faire, et pour moi, rien que le fait de venir et de l’aider à lui donner ce cadeau qu’est la vie fait que je me sens vraiment bien ».
« Certaines personnes sont choisies pour faire ce genre de choses. Ces enfants qui sont somnolents, peuvent voir arriver Danny Kaye, qui leur raconte des histoires et leur fait des grimaces, et ils deviennent soudain joyeux. Bill Cosby est aussi connu pour s’occuper des enfants. Les infirmières et les médecins sont bluffés par le pouvoir de ces gens ».

« Je goûte aussi à la pauvreté. Quand je vais dans un pays – comme les Philippines, ou Trinidad, ou en Afrique – je vais vraiment vers les gens, je vais dans les quartiers pauvres et je parle aux gens. Je m’assieds dans leurs petites huttes, dans leurs maisons en carton, et je fais comme chez moi. Je pense qu’il est important de savoir comment se sentent ces gens, spécialement dans mon domaine d’activité ».
« Le chef du quartier pauvre appelle les gens et leur dit qui est venu les voir, et ça fait du bien de voir qu’ils savent qui vous êtes. Je ne pense pas être meilleur que les autres, je pense que je suis différent des autres parce que je fais des choses différentes ».
« Je leur serre la main, et ils me suivent partout où je vais. Puis ils voient mon appareil photo autour de mon cou, et ils commencent à toucher et me supplient de les prendre en photo. Quand nous sommes allés pour la première fois en Afrique, nous avons emporté des appareils qui font des photos instantanées, et ils n’avaient jamais rien vu de tel. Ils sautaient partout et criaient ».

Evidemment, Michael n’est pas ignorant du monde qui entoure sa vie enchantée. Il semble cependant et en toute conscience prêt à s’échapper à tout moment dans un monde d’illusion – spécialement le monde du cinéma. Peut-être cela a-t-il du sens, si le fait de protéger sa propre joie maintient sa capacité à projeter la fraîcheur qui fait de lui un interprète si attirant.
« Rien que le fait de se retrouver devant une caméra et de s’échapper dans un tout autre monde est merveilleux. Je n’ai pas de mots pour décrire le sentiment que j’ai eu lors du tournage de The Wiz. Je ne m’en remettrai jamais ».
« Vous connaissez l’affiche de La Mélodie du Bonheur, quand Julie Andrews court sur cette montagne en écartant les bras ? Oohhhh, c’est savoureux. Ça me tue, c’est tellement bon. Je sens que ça traverse tout mon corps. On a l’impression d’y être – c’est tout ce qui fait le charme d’un film ».
« J’ai rencontré Julie Andrews pour la première fois il y a trois ans, et quand elle m’a serré la main, elle l’a serrée vraiment fort. Elle a dit : ‘Ma fille Emma a votre album, et nous adorons ce que vous faites’. J’ai répondu : ‘Vous ne savez pas ce que vous avez fait pour moi grâce à votre travail’. Elle m’a tellement influencé ».
« J’ai l’intention de faire beaucoup plus dans ce domaine – des comédies musicales, des comédies dramatiques. ».

« Chaque jour, elle [Diana Ross] s’arrêtait dans ma chambre pour me demander si j’avais besoin de quelque chose. C’est une vraie, vraie maman. Nous l’avons rencontrée lorsque nous avons auditionné pour Berry Gordy dans son manoir de Detroit – et c’est vraiment un manoir. Quand on est un petit enfant, tout nous paraît très grand, parce qu’on est petit, mais nous y sommes retournés lors de la dernière tournée et – ooohh – il est toujours immense. Il y a tout, une piscine intérieure, un bowling, un parcours de golf. Toutes les stars de la Motown étaient là, et Diana est venue nous voir pour nous dire qu’elle nous adorait et qu’elle voulait jouer un rôle majeur dans notre carrière. Elle nous a donc présentés au public. Notre premier album s’appelait Diana Ross Presents The Jackson Five ».
« Quand nous avons sorti Destiny, qui était le premier album que nous avions écrit et produit nous-mêmes, elle nous a dit qu’elle était très fière de ce que nous faisions. Elle m’a dit : que nous restions à la Motown ou non, elle serait toujours là pour nous si nous avions besoin ».
« Elle m’a appelé aujourd’hui. Elle est à New York et elle avait entendu dire que j’étais à l’hôpital – j’ignore ce qui lui a fait penser ça – et j’ai reçu un message qui disait qu’elle voulait que je la rappelle. Elle est vraiment attentionnée ».
« Le Magicien d’Oz recèle de secrets qui sont tout simplement énormes. Tout comme Peter Pan – cette histoire de ‘garçons perdus’ est incroyable. Ces histoires ne sont pas enfantines, elles sont vraiment très profondes. On peut régler sa vie en s’en inspirant. Ou alors enfantines dans le sens où les enfants sont les personnes les plus brillantes, et c’est pour cela qu’ils racontent si bien ces histoires. Les contes de fées sont merveilleux. Que demander de plus, à part conquérir le monde et croire en ses idées ? ».
« Il y a toute une raison psychologique dans ces dessins animées à propos du bien et du mal. Il y a Superman, et tous ces autres héros qui font que l’on traverse la vie en essayant d’être quelque chose. J’ai la plupart des vidéos des dessins animés de Disney, et quand je les regarde je suis transporté sur une autre planète. C’est savoureux, savoureux ».

Janet est aussi calme qu’une petite souris tandis que son frère parle du respect d’une célébrité pour une autre.
« Certaines personnes viennent et disent : ‘Hein ? Tu regardes des dessins animés ?!’ Eh bien, les dessins animés, c’est merveilleux ! Les dessins animés sont illimités. Et quand on est illimité, c’est le nec plus ultra. Jiminy Cricket, Pinocchio, Mickey Mouse – ces personnages sont connus dans le monde entier. Certaines des plus grandes personnalités politiques sont venues aux Etats-Unis pour les rencontrer. Même les Russes ne quittent pas le pays sans avoir vu Disneyland ».
Michael dit que l’un de ses plus grands rêves est devenu réalité quand il a été invité à chanter When You Wish Upon A Star avec les 27 personnages de Disney autour de lui. C’est une émission spéciale de deux heures, présentée par Danny Kaye, pour célébrer le 25ème anniversaire de Disney.
« C’était génial », exulte-t-il. « A Disneyland, vous oubliez le monde extérieur. Quand vous déambulez sur Main Street, vous voyez le château, et vous vous retrouvez dans les années 20… comment ces deux époques peuvent-elles aller ensemble ? Mais elles s’accordent bien. Vous marchez dans cette rue et vous vous dites : ‘Ça y est, je vais passer du bon temps’. On s’échappe ».

Mais, euh… Michael… ne pensez-vous pas qu’il soit possible d’apprécier un peu trop l’évasion ?
« Non, je ne pense pas. Il y a une raison pour laquelle Dieu a fait que le soleil couchant est rouge ou pourpre, ou vert. Parce que c’est beau à regarder – c’est une minute de joie. Il y a une raison pour laquelle on peut voir des arcs-en-ciel après la pluie, ou des cerfs qui sortent de la forêt. C’est ça, s’émerveiller, s’échapper, cela touche le cœur, et il n’y a aucun danger là-dedans ».
« L’évasion et l’émerveillement, c’est l’influence. Vous vous sentez bien, et cela vous permet d’accomplir des choses. Vous allez de l’avant, et vous vous dites : ‘Dieu, est-ce que c’est beau, est-ce que je dois l’apprécier ?’ ».
« Quand quand je suis à 40 000 pieds d’altitude dans un jumbo jet le soir et que c’est l’aube. Tout le monde dort dans l’avion, et moi je suis dans le cockpit avec les pilotes parce qu’ils me laissent aller avec eux et – ooohhh – c’est incroyable de voir le soleil se lever et d’assister à cela ».
« J’ai vu des choses que personne n’a jamais vues. Nous sommes allés au Pôle Nord et il faisait totalement nuit, et nous avons vu ces énormes icebergs qui brillaient dans le noir. Puis j’ai regardé au loin dans le ciel, et j’ai vu des cristaux violets, verts et bleus qui scintillaient et tournoyaient dans l’air. J’ai demandé : ‘Qu’est-ce que c’est ?’, et le pilote a dit qu’il ne savait pas, ils n’avaient vu cela qu’une seule fois avant. J’ai dit : ‘Mon Dieu, je n’oublierai jamais’. ».

Il prend un moment pour rassembler ses souvenirs.
« Une fois, alors que nous revenions en Afrique dans l’obscurité la plus totale, nous étions très haut, et il y avait tellement d’étoiles filantes que je pensais qu’elles allaient heurter l’avion – c’était incroyable. Quand vous êtes là-haut et qu’il n’y a pas de brouillard, vous ne voyez presque pas l’obscurité. Vous ne voyez aucune zone d’ombre parmi les étoiles. Vous voyez chaque étoile dans le ciel ».
« Les pilotes me disent : ‘Je voudrais ne jamais avoir à me poser pour faire le plein de carburant. Je voudrais rester là pour toujours. Pour toujours. C’est pour moi l’endroit le plus sûr du monde’. Et je comprends totalement ce qu’ils veulent dire. Quand je suis devant 40 000 personnes, c’est si facile. Rien ne peut me blesser quand je suis sur scène – rien. C’est vraiment moi. C’est ce que je suis censé faire ».

C’est tout, très bien. Elevé dans l’émerveillement et les encouragements de millions de fans, ce gars s’échappe jusqu’au paradis et ne veut pas redescendre. Michael Jackson est tout là-haut avec les anges, là où l’on ne distingue presque pas l’obscurité parmi les étoiles.
« Sur scène, je suis à la maison », dit-il doucement. « C’est là que je vis… c’est là que je suis né… c’est là que je me sens en sécurité ».

Source: Melody Maker – 1er mars 1980 – http://www.the-michael-jackson-archives.com

Traduction PYC