Interview du Magazine Blues & Soul n°303 du 6 mai au 19 mai 1980

Michael construit sa destinée sur des bases solides.

Pour mesurer le succès de Michael Jackson pendant l’année 1979, il suffit de se référer au résultat du sondage B&S : il a distancé tout le monde pour toutes les récompenses imaginables – et dans presque toutes les catégories. Dans ce numéro exclusif de B&S, Michael parle à Tamiko Jones et à John Abbey de son passé, de son présent, et de son futur.

B&S : Tout d’abord Michael, voudriez-vous faire un commentaire au sujet de votre victoire dans le sondage B&S ?

MJ : Je suis vraiment honoré et heureux d’avoir été choisi parmi les nombreuses catégories et je pense que cette récompense montre que le public aime ce que je fais. C’est merveilleux de sentir que le travail fourni porte ses fruits. Ça signifie beaucoup plus que le fait de gagner de l’argent. L’acceptation signifie quelque chose. Je ne prends jamais rien pour acquis et je suis simplement très heureux de tout ça.

De toute évidence, la plupart des compliments viennent grâce à l’album Off The Wall et les gens du milieu font déjà référence à cet album comme étant une sorte de Michael Jackson’s Greatest Hits tellement il regorge de tubes. Si l’on regarde en arrière, est-ce que vous êtes surpris que cet album ait aussi bien marché ?

Je me suis beaucoup posé cette question. Quand Quincy [Jones] et moi-même avons entamé ce projet, nous nous sommes assis et avons discuté de ce que nous voulions exactement et tout s’est passé comme nous l’avions prévu. Nous avions décidé au préalable de l’habillage de l’album, mais nous avons fait plus que ce à quoi nous nous attendions. Nous visions un triple disque de platine et nous sommes maintenant sur le chemin des 5 millions !

Quand allez-vous commencer à travailler sur le prochain album solo ?

Eh bien, nous sommes en ce moment même en train de faire un album pour les Jacksons donc ce sera probablement dans un certain temps. Peut-être l’an prochain. J’ai toujours eu peur d’en faire trop, et ce en toutes circonstances. La surexposition peut être néfaste dans ce milieu, donc je préfère prendre mon temps et faire les choses correctement. Le prochain album devra être trois fois meilleur que celui-ci – il ne peut pas seulement être aussi bon parce que ce serait une déception. Je prendrai donc mon temps pour faire les choses bien.

N’avez-vous pas peur de perdre un peu de l’élan pris grâce à Off The Wall ?

Je ne pense pas. Mais vous voyez, j’ai encore bien d’autres désirs profonds – plus particulièrement faire des films. Mais à cause des tournées et des enregistrements – ce que j’adore faire, bien sûr – je ne peux pas m’impliquer dans un film comme j’aimerais. Ça m’énerve parce que c’est quelque chose que j’aimerais beaucoup faire. Mais il faut dire aussi qu’à ce moment-là l’album des Jacksons sera sorti depuis longtemps.

Quand l’album des Jacksons sera-t-il terminé ?

C’est une question à laquelle il est toujours difficile de répondre parce que quand j’entame un projet, mon but est d’atteindre la perfection et chaque projet doit être trois fois meilleurs que le précédent. Ça prend du temps parce que je n’aime pas suivre une ligne directrice, j’aime suivre mon propre chemin. Je n’aime pas imiter. Mais on peut s’attendre à ce qu’il soit prêt pour juin.

En quoi le nouvel album sera-t-il différent de Destiny, dans le concept et le style ?

Destiny était le début de toute l’histoire et le timing était parfait. Mais il y a encore beaucoup de choses qui doivent venir et pour celui-là, nous sommes beaucoup plus ouverts et libres. Nous sommes tous vraiment excités à ce sujet.

Est-ce vous tous qui à nouveau écrivez les chansons et qui les produisez ?

Oui c’est le cas.

Pour votre prochain album solo, allez-vous à nouveau travailler avec Quincy ?

Bien sûr – et je le promets ! J’ai beaucoup appris en travaillant avec Quincy et je suis avide de connaissances. Pour moi, apprendre quelque chose que j’ai toujours rêvé d’apprendre me rend heureux. Et travailler avec Quincy a été une expérience tellement géniale. Si merveilleuse. Je n’oublierai jamais la façon dont il travaille parce qu’il n’a pas de limites. Il m’a même donné un surnom – Smelly ! Il ne m’appelle jamais Michael !

Y aura-t-il une tournée des Jacksons cette année ?

Je pense mais je n’en suis pas sûr. Nous le souhaitons en tous cas.

Aimez-vous partir en tournée ?

J’aime beaucoup certains endroits. Et j’ai écrit beaucoup de chansons en étant sur les routes. J’adore être sur scène et j’apprécie de visiter différentes villes, rencontrer d’autres cultures, d’autres environnements, l’art local ou d’autres langues. Et bien sûr, j’adore rencontrer les fans parce que c’est pour eux que je pars en tournée – voir en face à face les gens qui achètent mes disques. On n’a jamais la chance de les voir réellement mettre un disque pour l’écouter, alors partir en tournée c’est la façon que j’ai d’être le plus proche possible et c’est merveilleux de savoir que le public apprécie votre musique et possède vos albums à la maison.

Nous savons que vous êtes occupé sur plusieurs projets en ce moment – voudriez-vous nous donner quelques détails ?

Eh bien, j’ai fait un single qui s’appelle Night Time Lover pour ma soeur LaToya, qui devrait sortir très vite chez Polydor.

Avez-vous écrit, produit et arrangé la chanson ?

Oui c’est le cas.

Est-ce la première fois que vous produisez seul ?

Eh bien, j’ai co-produit Don’t Stop avec Quincy et je l’ai aussi arrangée. Et j’ai co-produit avec mon frère Randy Shake Your Body.

N’êtes-vous pas aussi en train de faire quelque chose avec Neil Diamond ?

C’est vrai. J’étais sur la plage il y a deux dimanches de ça, et Neil Diamond était mon voisin, et on a commencé à parler. Je lui ai demandé comment se passait le tournage de son film et il a commencé à me dire qu’il devrait danser pour la première fois. Je n’ai jamais vu Neil danser mais il m’a dit la façon dont il voulait surprendre les gens qui pensaient qu’il ne savait pas danser. Il pensait avoir du rythme, et disait que s’il travaillait dur il pourrait y arriver. Il m’a dit à quel point il avait aimé The Wiz, qu’il l’avait vu plusieurs fois et qu’il avait vraiment aimé ma performance, puis il m’a demandé si je pouvais l’aider à faire une chorégraphie. Il veut même que nous écrivions une chanson ensemble. C’est quelque chose que j’aimerais vraiment faire et je pense que ce sera un grand plaisir.

Michael, nous savons que vous n’aimez pas faire d’interviews et que vous avez une raison valable pour ça. Pour vos fans, voulez-vous nous en dire plus ?

C’est la stricte vérité. Ce que dit une personne signifie beaucoup pour moi. Cela peut changer l’opinion de quelqu’un sur ce qu’est une personne. J’ai vu ce qu’il s’était passé plusieurs fois – Charlie Chaplin, Paul Robeson, Jane Fonda, qui sont des gens qui ont beaucoup parlé et l’opinion publique a commencé à changer d’avis sur eux. Ma plus grande peur est de voir mes propos déformés.  Un mot peut être replacé dans un autre contexte et changer complètement de sens.
Plus tard, les gens déformeront tout ce que je dirai et c’est pourquoi je suis très timide sur le fait de donner des interviews. Je ne veux pas être mal représenté auprès de mes fans. J’accepte le fait de ne pas pouvoir stopper les rumeurs – ça me va ! Mais quand il s’agit de quelque chose de sérieux et qu’on déforme mes propos, ce n’est vraiment pas bien !
Beaucoup de génies dans des domaines différents ont été blessés de cette façon. Comme Charlie Chaplin qu’on prenait pour un communiste. Ou la façon dont Paul Robeson a été traité. Alors si on ne peut pas citer mes propos correctement, je préfère qu’on ne cite rien du tout. Ça peut être la différence entre le succès et l’échec. Je sens que je suis là sur terre pour faire un job particulier et que je n’en ai que gratté la surface, et je ne veux pas que les gens aient une mauvaise impression de moi.

Michael, revenons aux premières années des Jackson 5, que vous rappelez-vous le plus de cette période ?

La chose dont je me souviens le mieux de ces années – et c’est la raison pour laquelle nous sommes des artistes aujourd’hui – ce sont les répétitions pendant sept heures par jour tous les jours. Juste après l’école, nous cherchions à nous perfectionner, et notre père nous servait de professeur. Bien qu’il ait fait partie d’un groupe, il n’avait jamais été un grand showman, mais il savait exactement ce que je devais faire pour devenir un professionnel. Il m’a appris exactement la façon de tenir un micro, quels gestes faire pour le public, par exemple. Et comment captiver un public.
C’est incroyable la façon dont il pouvait avoir raison sur certaines choses et il a été le meilleur professeur qu’on ait pu avoir. Je n’oublierai jamais ça parce que c’est de là que tout a commencé – par notre mère et par notre père.

A l’époque, est-ce que ça avait réellement un sens pour vous ?

Pour vous dire la vérité, c’est venu naturellement, je me suis juste mis à chanter et ça sonnait plutôt bien à mon oreille !

Quand vous étiez enfant, avez-vous toujours voulu être artiste ?

Oui. Quand James Brown et Sammy Davis Jr sont arrivés, j’aimais beaucoup – et aujourd’hui ils sont encore mes idoles.

Regrettez-vous d’avoir commencé si jeune et d’avoir manqué une adolescence normale ?

… Non. Je pense que commencer tôt est la meilleure façon quel que soit le domaine d’activité. Je remercie juste Dieu de m’avoir donné ce talent.

Quelle aide et quelle influence avez-vous reçu de Diana Ross ces années-là ?

Diana était – et est toujours – là pour superviser le groupe. Tout comme Berry Gordy – Ils étaient là tous les deux. Vous savez, Berry n’a managé que deux groupes dans toute l’histoire de Motown – les Supremes et les Jackson 5. Mais quand on a auditionné pour Berry à Detroit, Diana est arrivée quand nous terminions l’audition, elle nous a embrassés et nous a dit que nous partions pour un long, long chemin et qu’elle voulait en faire partie – et c’est ce qu’elle a fait. De toutes les choses que nous avons faites ensemble – comme The Wiz ou des émissions de télé – elle a été à 100 % de notre côté et s’est toujours assurée que les choses étaient faites pour nous comme elles le devaient.

Elle est donc quelqu’un de très spécial pour vous ?

Très spéciale !

Sans aucun rapport, quels sont vos vieux titres préférés des Jackson 5 ?

Je pense que Never Can Say GoodbyeI’ll Be There et Ben sont mes trois préférées.

Avez-vous aimé la façon dont Gloria Gaynor a repris Never Can Say Goodbye ?

Oui – bien qu’elle ait changé la saveur de la chanson. Beaucoup de gens disent que ce disque a marqué le début du disco et elle a incontestablement mis beaucoup de rythme dans cette chanson. La nôtre était plus concentrée sur la beauté de la mélodie. J’ai aussi aimé la façon dont Isaac Hayes a chanté cette chanson.

Que pensez-vous de ce qu’il s’est passé récemment avec Motown, qui désormais possède officiellement le nom « Jackson 5 » ?

Quand nous avons perdu pour la première fois notre nom d’origine, nous nous sentions perdus. Vous voyez, nous avions ce nom bien avant de penser à chanter pour Motown et c’était notre identité. Mais à mesure que le temps est passé, ça avait de moins en moins d’importance et aujourd’hui on nous identifie comme étant les Jacksons. De toute façon les gens pensent toujours que nous sommes les Jackson 5.

Et voudriez-vous que Jermaine réintègre le groupe ?

Oui, beaucoup ! Vraiment – ce serait merveilleux.

Y a-t-il des moments dans votre vie où vous souhaiteriez être anonyme et ne pas être Michael Jackson ?

C’est vrai, quelquefois j’aimerais être comme n’importe qui d’autre. Par exemple, il n’y a que deux endroits où je puisse me rendre pour faire du shopping – New York et Londres. Et parfois ils ferment le magasin juste pour que je puisse être tranquille. Diana fait ça tout le temps – ils ferment tout le centre commercial rien que pour elle !

Je suppose que c’est pour des raison de sécurité.

Oui – mais certaines fois j’aimerais ne pas être si reconnaissable, juste sortir et passer un bon moment. Comme aller à Disneyland .

Avez-vous des projets de cinéma concrets en ce moment ?

Ma chambre est pleine de scripts et je n’ai pas encore eu le temps de les regarder. Ce dont j’ai besoin en ce moment, c’est de vacances.

Où comptez-vous aller ?

A Miami ou en Suisse. J’adore Miami et j’adore la nature en Suisse. Ça coupe le souffle – les montagnes et les vallées sont si belles, c’est comme dans un livre et chaque endroit ressemble à une carte postale. Je me suis promis qu’un jour j’aurai une maison en Suisse et c’est une promesse que je me tiendrai à moi-même.

Aimez-vous le climat et regrettez-vous de ne pas avoir de saisons en Californie ?

Le fait qu’il n’y ait pas de saisons me manque vraiment, oui.

Avez-vous des loisirs – je sais que vous aimez lire.

Il n’y a pas vraiment de mots pour décrire ce que je ressens quand je lis. J’aimerais passer plus de temps à lire parce que j’aime beaucoup ça. Je peux tellement me perdre dans un livre que j’oublie qui se trouve autour de moi et où je suis.

Est-ce une recherche constante de la sagesse ou est-ce que vous lisez aussi des romans ?

Les deux – mais j’adore lire ce qui est vrai. La philosophie est mon sujet préféré.

Atteindrez-vous un jour un point de satisfaction personnelle, pensez-vous ?

Oh non ! Ce qui est génial dans la lecture c’est qu’il peut s’agir de quelque chose qu’on ressent ou qu’on voudrait dire, et on peut le retrouver en une ligne dans un livre. On peut parfois lire en une ligne dans un livre quelque chose qu’on a passé toute une vie à essayer de faire.

Pouvez-vous prévoir à quel moment de votre vie vous prendrez votre retraite d’artiste ?

Je ne pense pas. Je voudrais progresser constamment. Comme je l’ai dit, je voudrais m’impliquer dans le cinéma, j’aimerais mettre en scène et écrire des musiques de films, par exemple. C’est mon principal but pour aller plus loin. Ma plus grande expérience a été de faire The Wiz – je n’oublierai jamais ça ! J’étais vraiment perdu dans tout ça.
Je suis vraiment sérieux et sincère au sujet du cinéma. Ce que j’adore dans le cinéma c’est qu’il capture des moments qui ne devraient jamais être perdus et dont nous pouvons apprendre constamment. Il y a eu tant de grands artistes que je n’ai jamais pu voir et qui ont par conséquent été perdus pour tout le monde. Par exemple, peu importe ce qu’on fait sur scène, c’est pour le public qui est dans la salle à ce moment-là – et qu’en est-il de ceux qui ne sont pas là ? Mais si on peut capturer ça sur un film, c’est pour toujours. Un autre exemple, j’ai pu apprendre beaucoup en regardant Charlie Chaplin.

Diriez-vous que 1979 est de loin votre année la plus satisfaisante ?

Je suis très fier de la manière dont j’ai progressé en 1979 dans différents domaines. Mais principalement grâce au succès de l’album Destiny. Nous avons été capables de montrer au monde entier que nous pouvions faire ça par nous-mêmes et que nous commencions notre propre destinée. Ça a brisé la glace pour nous en tant que producteurs aussi.

C’est ce qui fait que Destiny est un nom approprié pour l’album.

C’est symbolique, vous avez raison. En réalité la chanson parle de moi et a un sens profond pour nous, très profond. Mais cet album a aussi montré une direction pour l’avenir et nous pensons appeler le prochain album Foundation – ce dont nous ne sommes pas encore sûrs pour le moment.

Avez-vous un message à faire passer à vos millions de fans ?

J’aimerais les remercier parce que si je ne faisais pas ça pour eux, je ne ferais pas ce que je fais. Et je les remercie de m’accepter et de m’apporter leur soutien. Et même si en ce moment ils ne m’entendent pas [en interview], je l’exprime comme je l’ai déjà fait auparavant. Seule la vérité m’intéresse !

Source: Blues & Soul – 6-19 mai 1980
Traduction PYC