Suite à la parution du livre « Michael Jackson n’a jamais existé » en 2010 dont vous avez pu d’ailleurs gagner quelques exemplaires grâce à MJFrance, les fans du Roi de la Pop ont posé quelques questions à son auteur Amélie Dalmazzo.
Voici pour vous cette interview très intéressante :
Interview MJFrance – Questions des internautes :
Amélie Dalmazzo, pourquoi avoir choisi ce titre du livre ?
J’ai choisi ce titre – « Michael Jackson n’a jamais existé » – parce que je voulais provoquer un électrochoc, créer une prise de conscience : le Michael Jackson dont on a tant parlé (et dont on parle encore tant aujourd’hui), cette figure médiatique qui dormait soit disant dans un caisson à oxygène ou qu’on a accusée à tort de pédophilie n’est qu’une construction imaginaire !
Michael Jackson a donné son image et son histoire en partage. Il est devenu un récit collectif que nous avons tous écrit de concert, à travers la rumeur, le fantasme, les médias… Chacun d’entre nous s’est approprié ce personnage (positivement ou négativement), le transformant tantôt en une figure idéale, tantôt en une créature étrange et inquiétante.
Michael Jackson est ainsi, et avant tout, le reflet de ce que nous sommes : à travers le personnage « King of Pop », il incarne nos désirs d’immortalité et de toute-puissance. A travers le crépusculaire « Wacko Jacko », il est un miroir de nos peurs et des tabous sociaux. D’une manière plus globale, l’ambivalence de son personnage nous révèle notre propre dualité. Elle raconte la difficulté de l’homme à accepter sa nature, sa condition.
Quand vous est venue l’idée d’écrire ce livre et quelles ont été vos motivations pour le faire ?
Au fondement de ce livre, il y a une thèse de doctorat consacrée au charisme et aux phénomènes de fans. Je voulais comprendre de quelle manière certaines personnalités publiques parviennent à susciter la fascination et pourquoi, fans ou non, nous avons tant besoin de figures charismatiques pour nous construire.
Au fil de mes recherches, Michael Jackson m’est apparu comme un personnage fascinant pouvant nous en apprendre beaucoup sur ce sujet. J’ai alors étudié cette figure, analysant sa communication grâce à la sémiologie des médias (analyse des images) et la psychanalyse. Je voulais percer les mystères du charisme, comprendre pourquoi et comment les idoles nous fascinent, au point parfois de nous transformer en de véritables fans.
A travers le cas de Michael Jackson, je voulais aussi comprendre pourquoi nous détruisons nos idoles après les avoir mises sur un piédestal. C’est d’ailleurs aussi ce mécanisme que je décrypte dans mon livre : comment les médias et l’opinion ont-ils peu à peu transformé cette figure « idéale » en une créature « monstrueuse » offerte au sacrifice ?
J’ai terminé mon doctorat deux semaines avant la mort du chanteur. Quand j’ai appris sa disparition, j’ai compris l’importance de rédiger un ouvrage grand public reprenant mes découvertes : il me semblait essentiel de rendre compte de la portée réelle de sa légende, de clarifier son message.
Amélie Dalmazzo, êtes-vous fan de Michael Jackson ? Si oui, pourquoi ?
Je ne dirais pas que je suis « fan » mais plutôt que j’ai une véritable passion pour le personnage. Son caractère insaisissable me fascine, c’est évident, sinon je n’aurais pas passé plusieurs années à étudier son œuvre ! Et je crois que Michael Jackson nous a envoyé un message essentiel, qu’il a porté jusqu’à nous un enseignement riche de sens, capable de nous en apprendre beaucoup sur ce que nous sommes, sur nos contradictions, sur notre quête identitaire.
Je fais cette distinction entre « fanitude » et « passion » parce qu’en discutant avec de nombreux fans je me suis rendue compte à quel point sa disparition soudaine leur causait de la souffrance. Pour ma part, bien sûr, sa mort a été un choc. Je ressens d’ailleurs une grande tristesse encore aujourd’hui. Et je trouve son destin très cruel. Mais je ne « souffre » pas. J’ai passé des années à étudier le personnage, son œuvre et l’horrible traitement médiatique que nos sociétés lui faisaient subir. Je ressentais beaucoup d’affection et d’empathie pour lui, beaucoup d’admiration aussi. J’avais à cœur de le défendre face à toutes ces accusations. Mais la démarche analytique qui était la mienne pour étudier le personnage de Michael Jackson, ma posture de chercheuse, m’a obligé à prendre du recul vis-à-vis de mes émotions.
Quelle a été votre méthode pour l’analyse des clips de Michael Jackson?
Ma méthode première, qui est aussi celle que j’emploie dans mon activité de sémiologue, c’est d’abord l’intuition. Au départ, je me laisse guider par mes sensations face aux images. Ensuite, j’analyse l’image, je cherche les symboles, les codes qui pourront confirmer ou infirmer mes impressions.
Nous interprétons tous, chaque jour, les images en seulement quelques secondes. Ce processus est tellement automatique qu’on ne se rend pas compte de toutes les associations d’idées qui nous ont conduit à telle ou telle émotion. La sémiologie consiste précisément à rendre conscient ce processus de décodage, qui est purement inconscient. Il faut donc toujours être à l’écoute de soi, mais aussi et surtout, afin de ne pas se laisser emporter par sa subjectivité, il faut être très attentif à ce que l’image nous raconte, aux signes qu’elle porte, au contexte culturel dans lequel elle se donne et se reçoit.
Ce qui m’a particulièrement intéressée chez Michael Jackson, c’est sa capacité à séduire des peuples aux cultures très différentes. Il parvient à délivrer des significations qui ne sont pas seulement ancrées dans une culture ou s’appuyant sur les codes spécifiques d’un langage. Il met en œuvre, au sein de ses clips et plus généralement dans sa communication, des significations faisant écho à des désirs et des peurs universels. C’est pour cette raison qu’il a beaucoup à nous apprendre sur ce qui fait notre « humanité ».
Pensez-vous que votre ouvrage s’adresse à des fans de Michael Jackson ou à tout le monde ?
Il s’adresse à tout le monde. Aux fans tout d’abord, parce qu’en étudiant l’œuvre d’un artiste on comprend toujours un peu mieux qui il était en tant que personne et parce que mon livre s’applique à clarifier le message du chanteur : comme tous les héros mythiques, Michael Jackson met en scène – dans ses clips notamment – les conflits qui nous animent et nous délivre les clés pour nous en libérer.
Mais ce livre a aussi vocation à intéresser le grand public en permettant à chacun de s’ouvrir à la découverte de sa propre individualité. Outre la prise de conscience sociale que j’aimerais susciter avec cet ouvrage, vis-à-vis des rapports fusionnels et dévorants que nous entretenons avec nos idoles, j’espère sensibiliser les gens au fait que notre monde souffre surtout de problèmes identitaires. Qu’on soit fan ou non, on a toujours besoin de s’identifier à un autre idéalisé (un parent, un amoureux, une personnalité médiatique, etc.). Et ces identifications successives sont fondamentales pour construire notre identité, car c’est en imitant un modèle qu’on devient soi-même, même si cela paraît étonnant de prime abord.
Cependant, ce mécanisme est paradoxal dans le sens où cette aspiration à fusionner avec l’autre (comme dans la passion amoureuse par exemple) met en péril notre individualité. C’est pour cela qu’on éprouve des sentiments ambivalents, faits d’amour et haine, dans ce type de configuration. C’est aussi pour cette raison que beaucoup de gens éprouvent le besoin de rompre avec l’idéal, à la manière d’un adolescent qui rejette le modèle parental dont il s’était jusqu’ici inspiré.
Dans un sens, notre société a agi de la même manière avec Michael Jackson : l’adoration ou la haine éprouvée envers lui est la preuve d’un lien puissant d’identification.
Puisqu’autour de Michael fourmillaient des faits et anecdotes alimentées par les médias ou par MJ lui-même, pour les fans qui rêvaient tant de lui, n’avait-il pas perdu sa réalité ?
Bien sûr qu’il avait perdu de sa réalité ! Seuls quelques rares privilégiés l’ont connu. Nous, nous ne le connaissons qu’au travers de son œuvre (clips, chansons, poèmes, films, dessins…) et des récits qui sont faits à son sujet (biographies, presse, photos…). Michael Jackson est ainsi avant tout une représentation que l’on porte en soi, qui appartient plus au monde de l’image qu’à notre réalité physique et quotidienne. C’est pour cette raison que certains n’admettent pas sa disparition : bien qu’il soit mort, Michael Jackson est toujours aussi présent en nous !
A ce propos, un fan m’a fait la confidence suivante : « Je l’ai rencontré plusieurs fois, mais pourtant, à chaque fois, j’avais l’impression que ce n’était pas le véritable Michael Jackson, comme si j’avais affaire à un sosie. Il n’était jamais comme je l’imaginais, comme je l’attendais. » Ce témoignage montre bien que chacun se fait une image très personnelle de l’artiste et que celle-ci est sans doute assez éloignée du réel. C’est en ce sens aussi que Michael Jackson n’existe pas : nous avons tous créé notre propre Michael Jackson !
Malgré les fausses pistes, des fans de longue date ont certainement essayé de connaître le vrai Michael Jackson, arrivant parfois à déceler une partie de l’homme à travers de nombreux détails. Pensez-vous qu’il soit possible que certains aient pu ainsi arriver à connaître une grande partie de sa personnalité ?
Je pense effectivement que l’on peut, à travers l’œuvre d’un artiste ou ses prises de parole publiques, connaître un peu mieux sa personnalité : il est possible d’imaginer la nature des désirs et des angoisses qui l’animent et motivent son action. Comprendre l’engagement de Michael Jackson, c’est déjà mieux percevoir ses motivations et souffrances personnelles. Ceci dit, si on peut envisager le rapport que Michael Jackson entretient avec lui-même et avec le monde qui l’entoure, il me paraît plus difficile de percevoir l’homme dans sa dimension quotidienne : son caractère, sa manière d’interagir avec son entourage, ou encore sa manière de vivre sa paternité par exemple.
Le film documentaire This Is It, ne montre-t-il pas justement dans certains détails cette partie cachée qui révèle un peu de cette personnalité ? N’est-il pas justement le contraire du titre de votre livre ?
Le film This is it permet aux spectateurs d’observer la rigueur et l’exigence de Michael Jackson lorsqu’il exerce son art. Mais en aucun cas il ne permet d’entrevoir l’intimité du chanteur. Il est évident que Michael Jackson possède une vision claire de l’œuvre qu’il veut produire et qu’il est en ce sens très directif. Cependant, peut-on dire qu’il agit de manière identique dans la sphère privée ? Rien n’est moins sûr… De fait, je ne crois pas que ce film contredise le propos de mon livre, et donc son titre : on voit bien que Michael Jackson savait comment il voulait se mettre en scène, et donc ce qu’il souhaitait montrer de son personnage. Et, autant que ses fans ou les médias, il a participé activement à l’écriture de sa légende, à la construction de son charisme. C’est justement cette dimension que j’étudie dans mon livre, à travers l’analyse de quelques clips emblématiques notamment.
Pensez-vous que chaque continent perçoit Michael Jackson de la même manière?
Chaque pays possède ses propres langages et références. Les symboles que Michael Jackson a employés sont décodés différemment par les individus et les peuples selon leurs croyances personnelles et de leurs désirs propres. Mais la force de Michael Jackson, c’est d’avoir réussi à dépasser ces spécificités socioculturelles et individuelles : il a su parler à notre inconscient autant qu’à notre culture. De fait, il a trouvé une certaine universalité.
Mais, en fonction du vécu personnel de chacun, son message résonne différemment. Le charisme est le fruit d’une rencontre entre l’image d’un artiste et les désirs d’un sujet : le regard particulier qu’on pose sur Michael Jackson conditionne autant notre perception du chanteur que l’image qu’il donne de lui-même dans ses clips ou dans les médias.
Qu’avez-vous envie de dire aux fans de Michael Jackson qui vous lisent aujourd’hui, voire au public qui le deviendra un jour ?
Le message de Michael Jackson était un message d’amour que certains profanes ou médias pourront trouver un peu naïf, voire simpliste. Pourtant ce message est bien plus profond qu’il n’en a l’air.
L’amour, au fondement des religions et des philosophies, est conditionné par l’amour de soi et par l’acceptation de la condition humaine. Nous avons tous le désir d’être meilleurs – plus beaux, plus intelligents, plus forts… – et nous nous reprochons souvent nos imperfections. Pourtant, on ne peut aimer et accepter les autres que si on se pardonne à soi-même ses propres faiblesses. Nous devons admettre notre incapacité à être à la hauteur de nos exigences ! C’est seulement en nous réconciliant avec notre monstre intérieur, en acceptant notre laideur, que nous pourrons aimer les autres malgré leurs défauts et à leurs insuffisances. C’est d’ailleurs parce que l’humain n’accepte pas sa propre condition, qu’il renie sa véritable nature (sa nature profonde, animale, inconsciente), qu’il vit en disharmonie avec le monde. Les hommes s’entretuent faute de parvenir à accepter et à affirmer pleinement leur propre identité !
« If you wanna make the world a better place, take a look at yourself and then make a change », disait Michael Jackson (Man in the Mirror). C’est par soi que tout commence ! Il faut s’apporter à soi-même l’amour et la reconnaissance dont on a besoin, ne pas attendre que les autres nous rassurent ou nous flattent, ni chercher à exister dans leur regard. Pour se sentir aimé par les autres et être en capacité de les aimer vraiment, il faut commencer par s’aimer soi-même. Tel est le message que Michael Jackson a porté jusqu’à nous. Mon livre tout entier dit cela.
Merci Amélie.
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