Vous êtes nombreux à avoir réussi, non sans mal, à mettre la main sur ce petit bijou que représente le double album des Jackson Five « Live At The Forum ». Bien que l’industrie du disque soit loin d’être dans une forme resplendissante, il est vraiment regrettable de constater qu’en 2010 il reste difficile d’arriver à se procurer un disque que l’on devrait pourtant trouver facilement dans n’importe quel magasin de disques digne de ce nom. A défaut de pouvoir le faire, il vous reste heureusement, et c’est un comble, les plateformes de ventes de disques par internet comme amazon.fr, fnac.com ou encore alapage.com qui annonce l’un des tarifs les moins attractifs du marché avec plus de 45 € pour ce double album. A titre de comparaison, MJFrance vous conseillerait plutôt d’aller faire un tour sur le site d’amazon angleterre ou vous trouverez votre bonheur pour moins de 15€. C’est à n’y rien comprendre.
Enfin bref, passé ce petit coup de gueule qui n’arrivera très certainement jamais jusqu’aux oreilles de ces chers vendeurs de disques qui se plaignent de ne jamais en vendre assez, étonnés parfois à se demander pourquoi, MJFrance vous propose aujourd’hui la traduction du livret de ce double album.
Si déjà, l’écoute des deux concerts permettait de comprendre comment la Jacksonmania se traduisait en ces années 70, le texte présent sur le livret aide à s’en imaginer les à-cotés. Quelle époque tout de même ! Et quel bonheur !
Le 2 mai 1970, alors que les Jackson 5 se posaient à l’Aéroport International de Philadelphie pour entamer leur première tournée officielle en tant que nouveau groupe à succès chez Motown, ils ont été accueillis par plus de 3000 fans en délire. Le Convention Hall de Philadelphie était la première étape de ce qui deviendrait un record, une tournée d’un an. Après le spectacle, le chahut régnait ; les frères ont eu besoin d’une escorte de police pour regagner leur hôtel en toute sécurité. La Jacksonmania battait son plein.Alors que les Jackson 5 se sont produits deux soirs de suite en juin au Cow Palace de San Francisco, puis au Forum d’Inglewood, dans la banlieue de Los Angeles, ils avaient fait leur deuxième apparition lors de l’émission populaire du dimanche soir de Ed Sullivan, et on les comparait déjà aux Beatles, que les Jackson Five avaient battu dans les classements grâce à ABC. Le concert du Forum lui-même avait déjà fait les gros titres puisqu’il avait été promu par la star des Lakers de Los Angeles, Elgin Baylor (à gauche sur la photo). Avec Jerry Butler en première partie (qui avait ce soir-là remplacé Ike et Tina Turner) et le groupe Rare Earth, qui avait chanté son remake plein d’énergie des Temptations, Get Ready, l’événement avait fait la sensation d’un vrai concert.Ce n’était pas la première apparition des Jackson 5 au Forum. Ils s’y étaient produits 10 mois plus tôt en première partie de Diana Ross & The Supremes, où leur bienfaitrice Madame Ross était la maîtresse de cérémonie, présentant le nouveau groupe avec le soutien supplémentaire des performances de Edwin Starr et The Edwin Hawkins Singers, qui venaient d’atteindre le top 10 avec Oh Happy Day. Alors que les J5 avaient été positivement notés, quoique brièvement, dans le Los Angeles Times, le concert a été timidement reçu par ailleurs.Quelques mois plus tard, les Jacksons 5 classaient trois titres numéro 1. Shelly Berger, la manager du groupe chez Motown, a audacieusement programmé les enfants un samedi au Forum. Quand on lui a dit à lui et à ses frères qu’ils allaient être de retour dans l’arène de 18000 places, Michael a demandé : « De qui ferons-nous la première partie ? ».
Ce gros concert n’a pas été sans son lot de problèmes. Des difficultés d’ordre technique ont entaché la chanson d’ouverture, « Stand », reprise de Sly & The Family Stone, empêchant sa sortie dans ce coffret. (Pendant un délai conséquent de 7 minutes, le maître de cérémonie Rick Holmes a partagé avec l’assistance tout ce qui concernant le signe astrologique de Michael -la vierge- ou le fait que Jackie était sorti diplômé du lycée la veille). Présageant du professionnalisme dont ils feront toujours preuve plus tard, les frères n’ont manqué aucun pas.
Avec seulement deux albums Motown à leur actif, les Jackson 5 ont mélangés des tubes, des morceaux populaires de l’album et des reprises intéressantes, en y incluant une version de « Feelin Alright » des Traffic, que Michael dédie à ses grands-parents assis au premier rang ; une reprise de « There Was A Time » de James Brown ; « It’s Your Thing » des Isley Brothers ; et un morceau d’Isaac Hayes, « Walk On By », qui deviendra bientôt un standard de ce concert. Le groupe est ensuite retourné à Sly avec « Thank You », une façon de montrer leurs harmonies mais aussi une sorte d’hommage pour Mme Ross, qui était dans l’assistance avec Berry Gordy et le producteur Deke Richards. Toutes les reprises prenaient leur sens – c’était des reprises standard pour tous les groupes de divertissements – mais les Jackson 5 n’étaient pas un simple groupe, et entre leurs mains certaines chansons, particulièrement celles de James Brown, donnaient un sentiment assez significatif de la couleur musicale du groupe.
Il est significatif aussi, que même si Motown a géré tous les aspects de leur carrière, avec des contributions créatives remarquables de la part de Suzanne de Passe, le groupe J5 qui a tourné sur le circuit tumultueux du Midwest était toujours le même ces dernières années – Jermaine à la basse, Tito à la guitare, Jackie au tambourin, Ronnie Rancifer aux claviers et Johnny Jackson à la batterie. (Le plus jeune frère Randy est arrivé aux congas en 1972). Leur funk énergique a prouvé que, au milieu de l’hystérie des fans, les J5 offraient un package complet.
Néanmoins, les gosses étaient là pour chanter des tubes et les frères Jacksons s’y sont contraints avec leurs trois singles numéro 1, en plus du tour de force de Michael, « Who’s Lovin You » et le titre solo de Jermaine « I Found That Girl ». Bien que Michael se démarque de ses frères, dans les premiers jours de la Jacksonmania il était clair que beaucoup de fans étaient là pour Jermaine, sex symbole du groupe à l’âge de 15 ans. Même MJ le savait : devant la frénésie qui augmentait il présentait « I Found That Girl » comme « la chanson que vous attendiez tous ». La frénésie atteignait son paroxysme au cours de la dernière chanson, « The Love You Save ». Un raz de marée de fans se précipitait sur la scène, obligeant le groupe à partir en courant pour sauver sa vie.
« A San Francisco et à Los Angeles, c’était comme si les murs s’effondraient, quand toutes les filles grimpaient en même temps sur scène », déclarait Michael dans Soul Magazine la même année. « Jermaine a laissé tomber sa guitare et a quitté le concert du Forum. Nous pouvions toujours obtenir une nouvelle guitare, mais il était plus difficile de le remplacer. C’est vraiment dommage, parce que nous ne pouvions pas terminer le concert tel que nous l’avions répété ».
Malgré un début chaotique et un final un peu abrupte, ils « auraient difficilement pu être plus impressionnants », écrivait Robert Hilburn dans le Times. « Les cinq jeunes frères sont plus que des artistes qui battent des records de ventes. Ils sont une comédie musicale et un phénomène de divertissement ».
Le concert du Forum a attiré plus de 18 675 fans et rapporté 105 000 dollars, ce qui était à l’époque un record pour l’endroit sur les quatre dernières années. Lorsque la tournée a repris à l’automne, et alors qu’il classait son quatrième single n° 1 avec « I’ll Be There », le groupe a continué à battre des records de fréquentation au cours des trois soirs à Boston, Cincinnatti (où ils ont chanté l’hymne national lors du premier match des World Series) et Memphis, qui avait été le théâtre deux ans plus tôt de l’assassinat de Martin Luther King Jr. Au lendemain d’une telle tragédie, la Jacksonmania montrait une nation allant de l’avant avec un quintet de frères, venant de Gary, dans l’Indiana, pour ouvrir la voie.
Quand les Jackson 5 sont retournés au Forum fin août 1972, c’était très différent. La Jacksonmania était toujours là, le dessin animé à succès du groupe diffusé le samedi matin avait débuté à l’automne 1971, la même semaine que leur émission spéciale sur ABC-TV, Goin’ Back To Indiana. Les frères étaient maintenant des stars bien établies et celui qui attirait le plus l’attention était Michael, qui était à trois jours de son 14ème anniversaire et venait de sortir son deuxième album solo. Jermaine, qui avait maintenant 17 ans, avait aussi enregistré un album solo.
Contrairement à leur dernière performance au Forum, ce samedi a été plutôt calme, bien qu’on entende clairement par endroit les changements dans la voix de Michael. Avec six albums studio à leur nom, les J5 ont dynamité le spectacle avec des tubes. En effet, « Sugar Daddy » était le seul nouveau single sur la compilation Greatest Hits, qui est sortie juste à temps pour Noël 1971.
L’une des performances mémorables est celle de Jermaine sur « I’m So Happy », qu’on a rarement entendue, et qui est la face B de style doo-wop de « Sugar Daddy ». Bien que Motown ait hautement promu Michael et Jermaine, parfois au détriment du groupe, sur « I’m So Happy » on peut entendre une unité finement réglée, avec Michael qui exécute joyeusement les choeurs. Plus tard Michael se permettait sa propre série avec des titres solo comme « Got To Be There », en passant par la profondément soul « Ain’t No Sunshine » et « Ben », qui deviendrait son premier single n° 1. Cinq semaines plus tard les J5 apparaissaient au concert Operation PUSH EXPO, filmé pour le documentaire Save The Children, une reprise du tube solo de Michael, « Wanna Be Where You Are », est d’ailleurs l’un des joyaux de cette bande sonore.
At The Forum capture l’ascension des J5 vers la célébrité et vers les sommets, et constitue la documentation la plus durable du phénomène connu sous le nom de Jacksonmania.
Le texte est de Mark Anthony Neal, professeur de la culture populaire noire à l’université de Duke. Il est l’auteur de nombreux ouvrages tels que Soul Babies: Black Popular Culture and the Post-Soul Aesthetic (2002), Songs in the Keys of Black Life: A Rhythm and Blues Nation (2003) ou encore New Black Man: Rethinking Black Masculinity (2005).
Traduction: Cat