De tous les managers que Michael Jackson ait pu avoir, c’est sans nul doute Frank Dileo qui aura le plus marqué les esprits. Le site Nashville Scene vient de publier un long portrait de l’homme au cigare, 60 ans, qui a accompagné le Roi de la Pop des années « Thriller » jusqu’à la tournée Bad. Aujourd’hui à la tête de sa propre société de management de jeunes artistes, Dileo Entertainment Group, ainsi que vice-président de la société de production ValCom, Frank Dileo revient sur ses années au service de Michael (1984-1989) et sur son amitié avec lui.
Hiver 1989, Dileo et Jackson venaient tout juste d’achever les seize mois de la tournée mondiale Bad. Le stress d’avoir eu à faire voyager l’empire MJ – 213 personnes – tous les trois jours, de continent en continent, avait fait gagner beaucoup de poids à Dileo. C’est donc au Duke University Medical Center qu’il a décidé de se soigner. Heureusement d’ailleurs, car les médecins lui ont trouvé du diabète. Une semaine après le début de sa cure d’amaigrissement, il a appris que le Roi de la Pop venait de le virer sans préavis.
En grave surpoids, diabétique, renvoyé par Michael Jackson, ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler une bonne tournure des événements. Mais si un jour vous voyez Frank Dileo jeter les dés pendant une partie de craps, mieux vaut miser sur la ligne de passe, car s’il n’a pas perdu la main, il devrait faire 7 ou bien 11. La loi des moyennes ne vaut pas pour lui, ses passes bleuffantes donnent aux Harlem Globetrotters un air de Charlie Brown qui joue au foot.
Mais ça n’a pas suffi à empêcher les vautours de venir assiéger le campus de l’université de Duke lorsque son licenciment a été annoncé dans les médias. Pour échapper à ce cirque médiatique, Dileo s’est réfugié dans sa maison en Ohio. Le lendemain, se souvient-il, les gens l’appelaient chez lui pour savoir ce qui s’était passé. Alors ça ne l’a pas étonné plus que ça quand sa femme lui a dit: « Tiens, c’est Martin Scorsese au téléphone. »
Trois ans auparavant, Scorsese avait réalisé le clip « Bad » pour Michael Jackson. Dileo en était le producteur exécutif, et Martin Scorsese lui avait dit, comme ça, qu’il ressemblait à l’un des personnages de son prochain film. Ca s’appelait « Wiseguys » [ndt: qui est ensuite devenu « Les Affranchis », en 1990], basé sur un livre, lui-même inspiré de l’histoire vraie d’un gangster qui dénonçait ses petits copains à la justice. Dileo a pris cette remarque à la rigolade. Et voilà que des années plus tard, Scorsese le rappelait. « Je pensais qu’il allait me dire qu’il était désolé de ce qui m’était arrivé, » dit Frank, « Je lui demande comment ça va, et il me fait: ‘Dis, tu te rappelles il y a trois ans, quand je t’ai parlé de faire un film avec moi?’ Je réponds: ‘Ouais, l’adaptation de « Wiseguy ».’ Et là il dit: ‘Eh bien je fais le casting aujourd’hui. Ca te dit toujours de le faire? – Oui. Mais je croyais que tu m’appelais au sujet de mon renvoi. – Ah bon, tu t’es fait virer?’ Il n’était pas au courant. »
[…] Quand Michael Jackson a sorti « Thriller » en décembre 1982, époque où Frank Dileo régnait sur Epic Records grâce à son travail remarquable en tant que vice-président des promotions, l’album s’est vendu à plus de 51 millions d’exemplaires. Selon les sources, les chiffres de vente exacts de ce disque varient, mais pas les faits: l’album était en première position du Billboard pendant trente-sept semaines d’affilée, avec sept titres au Top 10 (à égalité d’ailleurs), ce qui a contribué à rapporter huit trophées – un record – à Michael lors des Grammy Awards 1984.
Alors Michael a beau avoir l’air naïf, mais dès qu’il s’agit de business, on n’a plus affaire à un rayon de lune qui dorlote son chimpanzé. Dans « Hit Men » [ndt: livre du journaliste Frederic Dannen sur les dessous peu reluisants de l’industrie musicale], Walter Yetnikoff dit de Jackson: « Il m’a déjà fait des remarques – concernant des domaines comme la promotion – qui m’indiquent qu’il serait parfaitement capable de diriger un label musical s’il le souhaitait. » Dannen lui-même décrit Michael comme « un homme ambitieux, d’une culture immense sur les mécanismes de l’industrie du disque. »
Dans son autobiographie de 1988 « Moonwalk », Jackson raconte: « Frank est celui qui a réalisé mes rêves pour ‘Thriller’. Ses connaissances pointues de l’industrie musicale m’ont été d’une valeur inestimable. Par exemple, nous avons sorti ‘Beat It’ en single alors que ‘Billie Jean’ était toujours numéro un. CBS se sont enflammés en disant: ‘Vous êtes fous, ça va tuer le succès de « Billie Jean »!’ Mais Frank leur a dit de ne pas s’en faire, que les deux morceaux seraient numéro un et finiraient dans le Top 10 ensemble et en même temps. Ce fut le cas. »
Non seulement cela, mais c’est un Michael Jackson récalcitrant que Dileo a convaincu de tourner le clip de « Thriller », un court-métrage de 14 minutes que beaucoup estiment être le meilleur jamais créé. « En fait, il ne voulait faire que deux clips: ‘Bille Jean’ et ‘Beat It’. Alors que j’étais toujours chez Epic, [le chef de produit] Larry Stessel m’a demandé de partir voir [Michael à Los Angeles] pour le convaincre de faire ‘Thriller’, parce qu’il refusait catégoriquement jusque là. »
Jackson, qui n’avait plus de manager depuis huit mois, a demandé à Dileo de remplir ce poste un lundi de mars 1984 au Beverly Hills Hotel. Deux jours plus tard, lorsque Dileo a accepté la proposition, l’industrie du disque ne parlait plus que de ça. Selon une source anonyme du livre de Frederic Dannen, « tout le monde est devenu vert de jalousie quand Frank a réussi ce coup-là. »
De la friture d’une maison de disques, il venait de passer au feu brûlant du rôle de manager d’une mégastar. Dileo a pris son poste trois mois avant le lancement du Victory Tour, réunion de tous les frères Jackson. « C’était un sacré boulot, croyez-moi! Chaque frère avait son propre avocat, son propre comptable. Ils nous ont forcé à engager et des promoteurs Blancs, et des promoteurs Noirs. C’était plutôt compliqué comme fiasco. Mais j’en ai sorti Michael indemne. » Parmi les trois promoteurs Noirs se trouvaient Don King et le Révérend Al Sharpton. « C’était avant que le RP Al Sharpton ne s’achète de beaux costumes. Il portait encore des pulls à l’époque, » raconte Dileo.
Bill Bennett, directeur de Warner Nashville et ami de Frank depuis la fin des années 70, se souvient avec amusement d’une anecdote survenue lors de la première de la tournée: « Nous étions à Kansas City, et j’ai dit à Frank que j’allais chez Arthur Bryant, l’un des restaurants barbecue les plus connus du monde. Et Michael m’a regardé en disant: ‘Ah non Bill, Frank est végétarien maintenant.’ Alors Frank me fait: ‘Ouais, Michael s’en fait pour ma santé.’ Et en me raccompagnant à la porte, il me passe une clé et me dit: ‘Retrouve-moi ici quand tu reviendras, et ramène-moi du barbecue!' »
« Michael surveillait tout ce que je mangeais. C’est marrant, quand j’ai commencé à travailler pour lui je faisais 95kg, et quand j’ai fini, j’en faisais 120! Voilà ce que ça donne de manger sain. »
Après le Victory Tour, Jackson a passé les deux années suivantes à travailler sur l’album « Bad », qui s’est vendu à environ 32 millions d’exemplaires dans le monde. Bien qu’il ait classé moins de chansons dans le Top 10 que « Thriller », cet album a quand même réussi à surpasser son prédécesseur – ainsi que tous les autres albums jamais sortis – en classant cinq singles à la première place. En septembre 1987, Michael a entamé sa première tournée en solo, le Bad Tour, produit par Dileo. Certes, il n’avait plus les soucis liés aux associés des frères Jackson, mais pour Dileo, cette tournée allait être la plus grosse aventure de sa vie, avec 123 concerts sur une période de seize mois et demi. Ce fut la tournée la plus lucrative de tous les temps, lors de laquelle Michael s’est produit devant 4.4 millions de fans sur quatre continents.
« C’était très difficile, » explique Dileo – et le terme est certainement très faible. « Je devais organiser le déplacement de 213 personnes tous les trois jours. A Londres, on a fait le stade de Wembley sept concerts d’affilée, avec 72 000 spectateurs par soir. On aurait sans doute pu en faire dix ou douze, mais à cette période il n’y en avait que sept de libres. »
Il va sans dire que manager de Michael Jackson, ça n’est pas uniquement produire des tournées mondiales. « Michael et moi avons fait des tas de choses ensemble, » dit-il avec plaisir, « J’ai pu être le producteur exécutif de tous les clips de l’album ‘Bad’. J’ai fait ‘Moonwalker’. J’ai été nominé pour deux Grammy Awards: pour ‘Smooth Criminal’ et ‘Leave Me Alone’, et j’en ai gagné un pour [ce dernier] – enfin pour le clip, pas la chanson. »
L’un de ses autres grands coups en tant que manager fut son sens du négoce pour les publicités Pepsi. « J’ai obtenu de la part de Roger Enrico [PDG de Pepsi] qu’il me paie immédiatement, ce qui était sans précédent. En fait, on a conclu le contrat dans le jet privé de Pepsi. Dès après être tombés d’accord sur un chiffre, j’ai dit à Roger: ‘Très bien, une dernière chose: vous devez me faire un chèque tout de suite.’ Il hésitait, alors je lui ai dit: ‘Ecoutez Roger, est-ce qu’Elvis Presley a fait une pub pour Pepsi? – Non. – Les Beatles alors? – Non. – Alors vous comptez laissez cette chance passer une troisième fois?’ Il a secoué la tête puis est allé aux toilettes. En ressortant il a déclaré: ‘Ok, marché conclu.' »
Frank n’en veut pas à Michael de l’avoir licencié en février 1989. « C’est dommage que notre collaboration ait été mise à un terme. J’aime beaucoup Michael. Il y a eu de nombreuses raisons à [mon renvoi]. Tout d’abord, Michael et moi avons passé chaque jour ensemble pendant cinq ans, ce qui rendait pas mal de gens jaloux. Et à cette époque, à nous deux, nous avions une certaine puissance. Donc il y avait un ou deux responsables de la maison de disques et un avocat – peut-être deux – pour qui il était nécessaire que je sois évincé du tableau, afin d’avoir plus de contrôle sur Michael. C’était également le moyen pour eux de se débarrasser de Walter Yetnikoff, qui avait énormément d’influence et qui était aussi mon ami.
L’on imagine aisément pourquoi des gros bonnets de l’industrie voulaient s’emparer de Jackson. Mais comment l’ont-ils convaincu? « Malheureusement, ils l’ont convaincu de le faire en lui promettant que s’il me virait pour engager Sandy Gallin à la place, il pourrait faire des films à Hollywood. Et qu’on se le dise, Michael n’a jamais fait un seul film. Le seul qu’il ait fait [à part The Wiz], c’était Moonwalker, avec moi. »
[…] Accrochés aux murs du bureau de Frank Dileo, des disques d’or et de diamant à vous en faire perdre la tête: « Colour by Numbers » de Culture Club, « She’s So Unusual » de Cyndi Lauper, « Combat Rock » de The Clash, et la pièce maîtresse: un coffret de 31 disques de platine de « Thriller ».
Mais le plus impressionnant ce sont les photos. Sept clichés tirés des « Affranchis » disposés dans un grand cadre au-dessus du canapé. Des images de Frank en compagnie du Prince Charles, de Charlie Daniels, de Michael avec les Reagan à la Maison Blanche. […] La quatrième photo, c’est celle de Frank et Michael Jackson, de dos, debout face à des urinoirs dans des toilettes publiques. Au-dessus de sa propre tête, Michael a écrit: « Elle est bien froide cette eau. » Et au-dessus de celle de Frank: « Et profonde aussi. »
Lorsque Jackson a été poursuivi en 2005, Frank est resté à Los Angeles pendant trois mois à ses propres frais. « Je sais qu’il est innocent. Beaucoup de gens s’en prennent à lui pour des tas de raisons, l’une étant que tout le monde aimerait avoir son catalogue de droits des Beatles. C’est un de ces types trop gentils qui se font facilement marcher sur les pieds. En l’occurence, le gamin en question avait un cancer, [Michael] lui a trouvé un médecin car ils n’avaient pas d’argent, il leur a permis de vivre dans son ranch. Et même quand [l’enfant n’était plus malade], ils refusaient de partir. Ils lui ont fait du chantage, c’est aussi simple que ça. »
« [Michael et moi] discutions à chaque pause [lors des audiences]. Je voulais qu’il sache que je savais qu’il n’avait rien fait. En fait il ignorait que j’allais venir le soutenir. C’était très émouvant. Il m’a dit: ‘Frank, j’arrive pas à croire que tu sois là,’ puis il s’est mis à pleurer. Alors je l’ai pris dans mes bras, ensuite dans l’ascenseur il m’a présenté à [son avocat] Tom Mesereau, il lui a dit: ‘Voici Frank Dileo, c’est mon ancien manager. J’ai eu neuf managers depuis, et c’est le seul de tous qui ait daigné venir ou même m’appeler pour demander comment j’allais.’ Ca a été un moment très dur pour lui. Très éprouvant émotionnellement. »
Traduction: MJFrance
Source: Nashville Scene – Merci à marnifrances @ MJNO