Interview du Magazine Blues & Soul n°285 du 28 août au 10 septembre 1979.

En 1979 les interviews de Michael Jackson sont rares. Cependant, après la Fête de Platine des Jacksons, où toute la famille a été récompensée de récompenses de platine pour l’album Destiny et le single Shake Your Body (Down To The Ground), Michael était suffisamment détendu chez lui pour parler à Tamiko Jones et à John Abbey de Blues & Soul à propos de certaines choses qui sont importantes pour lui.

B&S : Michael, pouvez-vous expliquer la signification du paon dans votre musique ?

MJ : C’est le symbole de ce que nous essayons de dire à travers notre musique, et on peut le résumer au fait que le paon est le seul oiseau qui intègre toutes les couleurs en une. Il ne peut produire cet éclat de feu que lorsqu’il est amoureux. Et c’est ce que nous essayons de représenter à travers notre musique. Rassembler toutes les races à travers l’amour. La politique ne peut pas sauver le monde, alors les musiciens doivent au moins essayer. Les gens se rassemblent grâce à la musique. Avec notre musique, nous essayons de transmettre un sentiment d’amour, et donc nous le relions au paon.

D’où vous vient réellement cette idée ?

J’ai lu à ce sujet, et je l’ai mis sur le papier. La réponse partout dans le monde a été incroyable. Beaucoup de gens ne l’avaient pas vu au dos du disque Destiny. Certains l’avaient vu, d’autres non. Certains avaient perçu le message, d’autres non. Mais une fois qu’ils l’ont compris, tout le monde pense que c’est merveilleux. La signification est importante pour moi, et c’est l’une des principales raisons pour laquelle je fais ce que je fais. Si je ne pouvais pas procurer cette joie partout dans le monde à travers ma musique, je ne le ferais pas. Je ne pourrai jamais faire des disques juste pour que les gens les achètent et m’enrichir de ça. Ce n’est pas bon pour moi. Il doit y avoir plus que ça. J’aimerais juste que plus de gens pensent de cette façon.

Tenir les politiques à l’écart de la musique résoudrait beaucoup de problèmes. Sauf que la musique a toujours été un moyen de refléter le temps. Comme le retour aux vieilles chansons populaires par exemple. Et des chansons ont été écrites sur les guerres par les personnes qui les ont vécues.

C’est tout à fait vrai. C’est pourquoi j’aime moi-même les chansons populaires ; parce qu’elles racontent les problèmes auxquels les gens font face. Les chansons populaires peuvent élever les esprits des gens, et elles portent souvent un beau message. Comme le paon en ce qui nous concerne, vraiment. Le message fait que les gens se sentent comme de vraies personnes, et qu’elles devraient se lever pour leur droit et ne jamais abandonner.

Avez-vous l’impression que vous pouvez réussir certaines choses par l’intermédiaire de votre musique et que les politiciens ne pourraient pas réussir ?

Certainement. Quand un politicien monte sur une estrade, il doit gagner la confiance des gens. Un artiste a une approche plus facile, et les gens sont plus désireux d’accorder leur confiance à un artiste plutôt qu’à un politicien. C’est un exutoire. Comme danser. Vous pouvez faire transparaître votre moi profond et vos humeurs en dansant. La musique fait le même effet.

Michael, je sais que vous avez un amour profond pour les enfants.

J’ai toujours été totalement fou des enfants. J’ai l’impression qu’ils sont plus que des enfants, que ce sont de petits génies et qu’ils détiennent un secret. Un secret qu’ils ne peuvent pas toujours exprimer.

Est-ce qu’ils perdent cette faculté en devenant adultes ?

Je pense que c’est le cas. J’ai utilisé la psychologie infantile à cause de mon amour pour les enfants – partout dans le monde.

Ce secret pourrait-il être l’innocence ?

C’est une possibilité. Si un enfant ne vous aime pas ; il vous le dira. Mais les adultes le prétendent, comme des imposteurs. Je pense que le monde pourrait être plein d’enfants !

Les enfants sont désinhibés et ils n’ont pas encore été exposés aux problèmes du monde. Les problèmes d’un enfant de 12 ans ne sont pas comparables à ceux d’un adulte de 32 ans, n’est-ce pas ?

C’est vrai.

Il est donc normal que vous aimiez aussi les personnes âgées.

J’en suis certain. Je pense qu’on peut apprendre tellement de choses des personnes âgées. Je suis tout le temps en train de leur poser des questions.

Alors, comment les choses peuvent-elles mal tourner entre l’innocence de l’enfance et la sagesse des aînés ?

Les gens deviennent dépendants du monde et de la violence. Et ils deviennent soumis aux pensées des autres gens et au système américain. Notre façon de faire n’est pas la seule façon de faire, là où les gens n’ont pas le droit d’être eux-mêmes, ils sont remplis de la façon de faire américaine.

N’avez-vous pas l’impression que c’est une pression naturelle qui existe partout dans le monde et qui ne peut pas être évitée ?

J’essaie de l’éviter autant que possible. C’est ce que j’aime le plus dans le fait de voyager. Vous pouvez voir quels systèmes sont adoptés par les autres pays, et vous en venez à réaliser que l’Amérique n’a pas toujours raison. Nous disons que nous avons raison, ils disent qu’ils ont raison. Vous ne pouvez pas avoir une vision nette des choses jusqu’à ce que vous quittiez les Etats-Unis. Vous réalisez qu’il existe d’autres cultures que la vôtre et vous vous sentez petit et insignifiant. Comme en Inde, j’ai été étonné de découvrir qu’un homme de 30 ans pouvait épouser une fille de 10 ans. Nous n’avons pas été élevés de cette façon donc nous regardons les choses bizarrement. Mais là-bas, ça arrive depuis des siècles et les parents sont assez disposés à abandonner leur enfant. Là-bas, ils considèrent les vaches comme des animaux sacrés. Comme un Dieu. Ils peuvent très bien mourir de faim, mais une vache peut rester assise là sans que personne n’y touche.

En interview, aimez-vous parler de religion et de politique ?

Non, je n’aime pas parce que les gens sont trop prompts à écouter, et avoir autant de pouvoir est une énorme responsabilité. Quoique nous disions dans notre musique, les gamins l’écouteront. Plus que les informations ou les journaux. Nous pouvons les éduquer par notre musique. Par exemple, Marvin Gaye a éduqué tellement de personnes avec l’album What’s Going On. Il a ouvert tellement d’esprits juste en demandant : « Que se passe-t-il ? ». C’était génial. Aujourd’hui, peu importe ce que disent les Bee Gees dans leurs chansons, tous les gamins du monde entier écoutent.

C’est une énorme responsabilité de faire les choses bien.

Ça l’est vraiment.

Puisque What’s Going On était un disque politique, je suppose que vous ne pouvez pas garder la politique en dehors de la musique, n’est-ce pas ?

Je suppose que c’est vrai.

N’avez-vous pas l’impression, cependant, que le message de What’s Going On survivra de loin au message des Bee Gees dans Saturday Night Fever ?

Il n’y a pas vraiment de message dans Saturday Night Fever, non ? C’est pourquoi j’adore tellement Paul Robeson – parce que ses chansons populaires disent toutes quelque chose. Des chansons comme This Little Light Of Mine.

Si Paul Robeson avait vécu 20 ans plus tard, il n’aurait pas été ostracisé, il aurait été une figure culte héroïque.

J’aurais aimé que plus de gens aient eu la possibilité d’être éduquées par lui.

T.J.: Ce n’est pas l’endroit idéal pour ça. Les gens veulent s’en échapper.

C’est un exutoire. C’est ce qui a fait de Star Wars et de tous ces films ce qu’ils sont.

Michael, je voudrais vous parler de Off The Wall, votre nouvel album.

Eh bien, c’est le titre phare, écrit par Rod Temperton (de Heatwave). Il a écrit trois chansons sur l’album, Stevie Wonder en a écrit une, et Paul McCartney en a écrit une. J’ai écrit trois chansons et Louis Johnson (des Brothers Johnson) en a écrit une. Quincy Jones l’a produit et nous nous sommes beaucoup amusés. C’est l’album le plus homogène auquel j’ai participé. Il y avait tellement d’amour, c’était incroyable. Tout le monde a travaillé ensemble tellement facilement.

Avez-vous fait appel à des musiciens connus ?

David T. Walker, Wah-Wah Watson, James Gadson à la batterie, le batteur de Rufus, le guitariste du groupe Chanson, et Louis Johnson. A ce propos, il y a une ballade sur l’album intitulée She’s Out Of My Life, que je voudrais mentionner. C’est une chanson vraiment touchante qui a été écrite par Tom Bahler, et à chaque fois que j’ai dû la chanter, j’ai presque fondu en larmes ! C’est vraiment une belle chanson et Quincy en a vraiment saisi l’essence.

Est-ce que ça fait du bien de faire un nouvel album solo ?

Oh, je ne le fais pas de manière obstinée ou pour mon ego. Je le fais parce que quelque chose au fond de moi me dit de le faire. Je n’avais pas fait d’album solo depuis très, très longtemps. C’est comme si j’avais été poussé à le faire par une sorte de force – vraiment ! Même le moment pour le faire. Et tout s’est merveilleusement passé.

Comment est née la chanson de Paul McCartney ?

Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il a dit qu’il avait une chanson pour moi, et j’ai toujours aimé sa manière d’écrire. Bref, il m’a dit que le titre était Girlfriend, et il a commencé à me la chanter. Donc nous avons échangé nos adresses et nos numéros de téléphone pour rester en contact. Sur l’album, il y a aussi quelques enregistrements en live – ce qui ne se fait plus. Habituellement, on enregistre en plusieurs fois. Mais sur certains morceaux, le groupe était là pendant que je chantais, et nous pouvions nous ressentir les uns et les autres, et c’est ce que l’on retrouve sur le disque. Je n’avais jamais fait ça avant – jamais ! Il en résulte un sentiment de spontanéité, et ça me rappelle quand le R&B a commencé dans le sud, quand les Noirs se rassemblaient et improvisaient. Tellement de sensations. C’est ce qui manque aujourd’hui. Tout est tellement commercial et mécanique. Trop de musiciens aujourd’hui sont trop dans ce qu’ils font eux-mêmes ; mais pas assez dans ce que font les autres.

Quel est le single de l’album ?

L’une de mes chansons, intitulée Don’t Stop ‘Til You Get Enough. Je l’ai écrite il y a environ un an et j’ai décidé de la mettre sur cet album.

Avez-vous quelque chose à nous dire sur le prochain album des Jacksons ?

Il sera quatre fois meilleur que Destiny ! Et nous allons suivre le paon. Nous allons l’écrire et le produire nous-mêmes. Il s’agit pour nous de nous améliorer et de faire mieux à chaque fois.

Avez-vous appris beaucoup de choses en produisant Destiny ?

Tellement ! Mais nous allons prendre notre temps avec le prochain, et nous allons le faire comme nous voulons le faire. Comme l’album Spirits Having Flown – il a fallu dix mois aux Bee Gees pour le faire. Nous nous sommes vraiment dépêchés avec Destiny – mais pas cette fois !

Prévoyez-vous de partir en tournée cette année ?

En novembre je crois. Mais cette fois, le nouvel album sera prêt.

Source : Blues & Soul – 28 août 1979 – michaeljacksonarchives.com

Traduction: Pretty Young Cat