Le magazine People Weekly du 7 Mai 1984 faisait sa UNE avec Michael Jackson en titrant: La frénésie dans les coulisses transforme la tournée Jackson en un thriller – plus un aperçu exclusif du nouvel album. On y trouve un article de Lisa Russell avec quelques photos sur 6 pages.
Tour de force
Malgré des rumeurs qui disent le contraire, les Jacksons continuent à se préparer pour l’évènement culturel pop de l’année à un rythme – lent – qui rend les fans et les partenaires commerciaux potentiels frénétiques.
Le 16 avril dans les studios de North Hollywood, Tito Jackson, le frère de qui vous savez, présidait la première répétition des musiciens qui vont prêter main forte pour la tournée des Jacksons de 1984. Le groupe – qui inclut le guitariste David Williams, qui a joué sur l’album Thriller de Michael Jackson, et le batteur Jonathan « Sugarfoot » Moffett, ancien membre du groupe de Lionel Richie – s’est rassemblé, a un petit peu plaisanté, puis a commencé à jouer, glissant tout naturellement vers le riff familier de Beat It. Peu après, Tito les a appelés pour leur imposer les règles. « Nous commençons à 7h00 », a-t-il dit. « Et ça veut dire 7h00. Ça ne veut pas dire que vous arrivez et que vous préparez vos instruments à 7h00 pour être prêts à jouer 15 minutes plus tard ». Bien après que Tito a fini de donner ses instructions, Nelson Hayes, l’assistant coordinateur des Jacksons, a délivré d’autres règles. « Je suis sous contrat avec les Jacksons depuis 1981« , a-t-il dit. « Ils n’aiment pas la drogue ». Puis il a pris une pause pour un effet dramatique. « Faites quoi que ce soit de ce genre sur cette tournée, et vous ne serez probablement plus parmi nous au moment où elle se terminera ».
C’est une bonne nouvelle, pas à cause du noble message délivré par Tito et Hayes – même si Dieu sait qu’un peu de ponctualité et de sobriété dans le monde de la musique pop serait un changement de rythme bienvenu. Non, la bonne nouvelle est beaucoup plus simple. Etant donné que l’album Victory est presque terminé et que sa sortie est prévue pour le mois de juin, il ne peut y avoir qu’une seule raison à ces répétitions : les Jacksons s’apprêtent à reprendre la route.
Et cela sonne comme un choc pour les observateurs de l’industrie musicale qui murmurent depuis des mois qu’une tournée aussi médiatisée n’aura jamais lieu, qu’ils étaient maintenant trop surchargés entre les avocats, les promoteurs, les comptables et les managers, et que l’entourage des Jacksons était dépassé par les évènements. « Le talent en question est un diamant », déclare le promoteur de San Francisco Bill Graham, qui essaie de rester discret, puisque la rumeur dit qu’il a toutes ses chances pour devenir le directeur de tournée au niveau national. « Mais à voir la façon dont sont gérées les choses autour de ce talent, on dirait plutôt qu’il s’agit de zircons ». Autre personne à douter, Jack Beckman, manager du Reunion Arena de Dallas, qui a une capacité de 19 000 places. Beckman s’est rendu à Los Angeles à trois reprises pour essayer de faire venir les Jacksons dans cette arène. Il a programmé des réunions (comme ils disent ici) avec différents collaborateurs et avocats des Jacksons. Il a même rencontré le patriarche Joe Jackson. Et il en sait un peu plus maintenant sur la tournée des Jacksons que quand il a commencé. « Je suis cette affaire depuis des mois et je suis sur le point d’abandonner », dit-il. « Cela ne peut pas se faire. Il y a tellement d’argent dans la balance que ce projet s’écroulera sous son propre poids ».
Mais attendez une minute. N’avançons pas trop vite. Pour nos lecteurs qui ont récemment émergé d’un coma, revenons un petit peu en arrière. En 1965, Joe Jackson, ouvrier métallurgiste à Gary, dans l’Indiana, fondait avec ses cinq fils – Michael, Jermaine, Marlon, Tito et Jackie – un groupe de musique appelé les Jackson 5. Avec l’aide de Diana Ross, ils ont signé un contrat chez Motown et vendu 100 millions de disques. En décembre 1982, Michael – qui vole maintenant en solo – sortait son deuxième album, Thriller, qui s’est vendu à 33 millions d’exemplaires (au dernier comptage) et qui a classé sept singles dans le Top 10. Ces statistiques sans précédent semblent l’avoir propulsé au-delà du simple statut de superstar, dans un univers spécial qui laisse les journalistes, les fans et les hommes d’affaires dans l’expectative. Même le New Republic, un fanzine pop, a vite proclamé Michael comme étant l’« artiste le plus performant de tous les temps… devant Sinatra, Elvis, les Beatles, Jésus, Beethoven – tous ».
En novembre dernier, Joe Jackson a réuni ses six fils – Randy étant devenu le sixième membre des Jackson 5 en 1973 – autour de lui à la très chic Tavern On The Green à New York, et a annoncé qu’il avait engagé le tsar de la boxe Don King pour produire une tournée de concerts des Jacksons à travers tout le pays. Le contrat ressemblait à un permis pour faire marcher la planche à billets. Il y avait des discussions pour 40 dates, pour filmer le concert, pour une diffusion télévisée en live, en plus des habituels t-shirts et autres bibelots. Pepsi-Cola a réuni au moins 5 millions de dollars pour avoir le privilège de sponsoriser l’évènement. Les estimations des gains potentiels de la tournée oscillaient entre la timide somme de 20 millions pour atteindre les 100 millions de dollars. Non seulement la tournée rendait la famille plus fortunée, mais elle permettait aux frères de se réunir. « Michael a eu un énorme succès », dit Tito, « et parfois le succès des Jacksons a été un peu sapé. Je pense que cette tournée est une chance pour nous de montrer l’étendue de notre succès, à nous aussi ».
En surface, tout semblait aller pour le mieux. Cependant, en-dessous grondaient quelques querelles. Pendant des mois, Michael – qui a renvoyé ses deux managers l’an dernier – s’est dit désenchanté par Don King, dont la tapageuse obsession pour l’auto-promotion ne cache pas le fait qu’il n’a aucune expérience dans le domaine de la promotion de musique. Michael aurait envoyé une lettre à King, déclarant en des termes sans équivoque que King ne pouvait ni parler, ni traiter des affaires pour Michael. King, dont l’idée de la journée parfaite est de parler 24 heures sur 24, est devenu étrangement silencieux. « Nous votons en silence », a-t-il dit en faisant allusion à la philosophie d’un processus de décision par consensus de la part des frères.
Des rumeurs prétendent que les frères penseraient à engager Irving Azoff, dirigeant du label MCA, ou Graham, ou Jerry Weintraub, promoteur à Los Angeles. Puis, en mars, Frank Russo, promoteur vétéran chez New England, annonçait avoir gagné cet honneur et que King n’était devenu qu’un simple homme de paille. Russo célébrait avec beaucoup de lyrisme la façon dont les Jacksons l’avaient engagé. « Tous les frères m’ont pris dans leurs bras, et ils ont commencé à ouvrir le champagne », a-t-il déclaré au Providence Sunday Journal. « Je ne pouvais pas croire que cela arrivait réellement à un gars de Rhode Island ». Hélas, apparemment cela n’arrivait réellement pas à un gars de Rhode Island. Trois semaines plus tard, Russo était hors-jeu.
Les allers et venues d’obscures hommes d’affaires périphériques à la vraie création musicale attirait peu l’attention, hormis pour un fait précis : dans la confusion, la tournée commençait à tournoyer lentement dans le vent. Le management par consensus peut être une noble expérience dans une démocratie participative, mais cela ne marche pas avec beaucoup d’efficacité- du moins pour ceux qui ne font pas partie du monde Jackson. La semaine dernière, aucune salle n’avait encore été réservée, et aucun calendrier de concerts n’était encore sorti. Les promoteurs locaux se retrouvent face à un représentant des Jacksons différent avec un discours différent, et n’obtiennent rien de plus concret qu’un « peut-être » lancé du bout de lèvres.
Arny Granat, promoteur en vue de Chicago, dit qu’il y a littéralement des centaines d’appels passés entre son bureau et les « 15 à 20 » représentants des Jacksons. « C’est un cauchemar », résume Granat.
Pendant ce temps, l’extravagante tournée à travers tout le pays devenait l’incroyable tournée de la décroissance. Selon un premier rapport, l’odyssée était à l’origine prévue pour débuter le 8 mai à Oklahoma City. Maintenant, le lancement est prévu pour le 15 ou le 22 juin, « quelque part au milieu » du pays avant d’enchaîner sur 11 ou 12 autres villes, a déclaré le coordinateur de la tournée Jack Nance. « Personne ne sait quand, ni où ils vont », dit Vernon Williams, du Gary Post Tribune, observateur de longue date de la famille originaire de sa ville. « Le mystère plane sur toute cette affaire. Au début ils devaient se produire dans 40 villes, puis 30, puis 15, maintenant 12 et bientôt ils seront capables de faire toute cette tournée sans même quitter la maison ».
Les changements de calendrier et les rumeurs ont rendu les Jacksonphiles complètement hystériques. A Boston, quand une dispute entre Russo et les responsables du Sullivan Stadium a menacé de priver les fans de l’opportunité de voir les Jacksons, le Boston Herald, un quotidien local, a imprimé des coupons disant à ses lecteurs : « Cochez cette case si vous voulez que Michael Jackson joue à Boston ». Le journal a été envahi de milliers de coupons, qui ont ensuite été livrés aux Jacksons en Californie. A Detroit, le News a par erreur mis son numéro de téléphone sous une photo de Michael Jackson, et a reçu plus de 100 appels téléphoniques de la part d’enfants qui voulaient lui parler : « Est-ce que Michael est là ? Quand rentre-t-il à la maison ? »
Dans l’Iowa, des étudiants ont récolté 25 000 signatures sur une pétition pour inciter les Jacksons à jouer dans leur Etat. « Même en programmant ce concert à 4h00 du matin le jour de Noël, ils se serait joué à guichet fermé », a dit Steve Peters, qui programme les évènements de l’université.
A Tacoma, dans l’Etat de Washington, le 25 février, 14 000 fans des Jacksons se sont rendus au Tacoma Dome pour regarder des vidéos des Jacksons, des imitateurs des Jacksons, et une vraie Jackson, leur sœur Latoya, qui a promis à la foule : « Nous allons certainement venir ».
Les politiciens, qui savent sentir un évènement populaire à des kilomètres, se sont empressés de sauter dans le wagon Jackson (celui de Michael, pas celui de Jesse) partout à travers le pays. A Boston, le maire Raymond Flynn a publié un communiqué pour inviter les Jacksons à venir jouer au City Hall Plaza. A Detroit, le maire Coleman Young a invité un promoteur qui selon la rumeur aurait des liens avec les Jacksons dans sa résidence officielle, dans l’espoir d’attirer le groupe à la Joe Louis Arena. Dans l’Iowa, le Gouverneur Terry Branstad a contacté King : « En tant que Gouverneur de l’Iowa, j’écris pour demander à Michael Jackson et à la famille Jackson d’inclure l’Iowa dans leur tournée Victory de 1984 ».
Mais la ville natale des Jacksons a réussi à faire paraître les autres villes apathiques en comparaison. A Gary, le maire Richard Hatcher fait circuler une pétition, et le président du conseil municipal, le Dr Vernon Smith, a sollicité 5 000 lettres les suppliant de revenir de la part des écoliers de la ville. Les élus parlent de transformer la maison de la famille en monument. Le 20 avril, la ville a sponsorisé un évènement, le « Michael Jackson Come Home », qui a réuni 27 participants dans 3 concours distincts de sosies de Michael Jackson.
« Dites : ‘Michael, Gary t’aime !' », a hurlé le maître de cérémonie Bobbie Wilson dans son micro.
« Michael, Gary t’aime ! », a répondu la foule.
« Encore une fois ! »
« Michael, Gary t’aime ! »
« Et encore une fois ! »
« Michael, Gary t’aime ! »
Jusqu’à présent, ni Gary, ni aucune autre ville ne sait si Michael viendra lui rendre cet amour en personne.
Promouvoir un concert des Jacksons n’est pas pour les faibles
Lorsque les lumières s’éteindront et que celles de la scène s’allumeront, le spectacle – qui sera certainement l’un des plus extravagants dans le monde du rock – sera d’une qualité professionnelle.
Mais tout ce lustre dépend autant des personnes qui sont en coulisses que de celles qui sont sur scène. Dans les mois qui précèdent un spectacle d’une aussi grande magnitude, les centaines de personnes se préparent et s’affairent pour que le grand soir venu, les étoiles brillent un peu plus et que l’évènement semble avoir été conçu sans le moindre effort. Mais ce n’est pas le cas.
« Si je reçois un appel de leur part ce soir et qu’ils me disent : ‘Ron, les Jacksons veulent jouer dans la région de New York’, j’ai besoin de 10 semaines pour faire les choses proprement. Minimum ». Ron, c’est Ron Delsener, le plus grand promoteur de concerts de la région de New York et du New Jersey, le plus grand marché du rock du pays. Le rôle du promoteur est d’organiser toute la logistique minutieuse – et gigantesque – d’un concert : choisir un lieu approprié, organiser la sécurité et la vente de tickets, négocier les accords des concessions, organiser la publicité au niveau local, et dernière chose mais pas des moindres, répondre aux sensibilités délicates des artistes. Le méga-promoteur Bill Graham, qui a géré la tournée à travers tout le pays des Rolling Stones en 1981, compare ce rôle à celui d’un maître d’hôtel. « Nous mettons la table, nous sortons la plus fine porcelaine de Chine, les candélabres et le bon vin, mais quand Mick Jagger apporte le steak, là… c’est parfait ».
Quand la porcelaine de Chine est en réalité du matériel pour le son pesant 10 tonnes, et que la salle à manger est une salle d’une capacité de 80 000 places, créer la bonne ambiance représente plus que de se contenter d’allumer une bougie. Beaucoup plus. « J’ai besoin de savoir des milliers de choses, comme le déroulement du show sur scène », explique Delsener. « Peut-on suspendre 1500 kilos à cette poutre ? Si c’est un grand spectacle, peut-on installer des sièges tout autour ? Parce que s’il n’y a pas de places assises derrière la scène, on perd entre 3 000 et 4 000 places par soir. Ce qui représente beaucoup d’argent. Mais peut-être que le technicien nous dira : ‘J’ai besoin de cette place pour le son et les lumières, sacrifiez 20 rangs’. Et il faut le savoir à l’avance, sinon les gens viennent et se retrouvent sans siège. Il y a aussi la table de mixage – et quelques bagarres ».
Vous pensiez peut-être que la vente de billets était la partie la plus facile. Détrompez-vous. Prenons exemple sur la description faite par Delsener d’une « vente par correspondance incroyablement bien gérée » pour une vente de billets pour Bruce Springsteen il y a quelques années, et qui envisagerait ce modèle pour les Jacksons : « Nous n’avions qu’une personne attitrée pour la billetterie – qui est toujours accusée de voler de toute façon – pour superviser ces vieilles dames que nous avions choisies parce qu’elles ne savaient pas du tout qui diable était Bruce Springsteen. Elles passaient en revue toutes les demandes et triaient les noms, les adresses et les courriers écrits à la main qui apparaissaient en double, parce que ceux-là venaient évidemment de revendeurs. Et cela prend beaucoup de temps. Puis il fallait enregistrer tous les emplacements siège par siège, au cas où ils aient perdu leur courrier. De plus, on ne pouvait pas poster tous nos courriers dans un seul et unique bureau de poste, parce que même si c’est illégal, les employés postaux pouvaient mettre la main dessus. Donc les tickets étaient postés par petites quantités à la fois, dans des bureaux de poste disséminés dans toute la ville, et même dans certains bureaux en dehors de notre Etat ». Est-ce que ce système fonctionnerait pour les Jacksons ? Y a-t-il assez de vieilles dames qui n’ont jamais entendu parler de Michael ? « Ce sera difficile », dit Delsener. « Elle pourraient très bien être tentées d’y aller elles-mêmes – et elles ont toutes des petits-enfants ».
Au moment où l’équipe arrivera en ville (dans des semi-remorques de 40 tonnes), Delsener aura déjà négocié le nombre exact d’intérimaires requis pour l’intégralité de la production, tout en gardant un œil sur les coûts pour son client. « Oh oui, il y aura des discussions. Pourquoi un gars ferait-il seulement un job – pousser un piano par exemple – et être quand même payé pour une journée entière de huit heures ? Pourquoi ne ferait-il pas deux jobs ? Tout cela prend beaucoup de temps avec mon technicien, mais ça va. Il doit faire son travail pour préserver le budget du groupe ».
Protéger les artistes en les cachant de leurs fans en adoration est aussi un travail très difficile, déclare Delsener. « Je gère la sécurité du groupe de la même façon que je le ferais pour une convention politique, pour le Président ou le Pape quand ils visitent une ville ». Ce qui signifie utiliser des limousines en guise de leurres, des voitures banalisées, des faux noms.
Très haut sur la liste des priorités, il y a aussi la protection des fans des Jacksons – les uns des autres. Delsener est optimiste. « Tous les endroits sont sûrs », jure-t-il. Un concert des Jacksons nécessite environ 200 chaperons – y compris ce que l’on appelle la « mafia des t-shirts » – recrutés dans les rangs des « grands mais sympathiques ». Cela représente 50 personnes supplémentaires par rapport à un grand concert habituel.
« Je garde la vraie démonstration de force pour l’extérieur. », dit Delsener. « Ainsi les bonnes vibrations restent à l’intérieur ». Dans la rue, Delsener aimerait voir 200 à 300 policiers – certains à cheval – et mettre en place des points de contrôles des billets dans tout le quartier. « Personne ne devrait circuler dans un rayon de 50 mètres sans ticket », dit Delsener. « Je voudrais que les choses soient claires pour ceux qui n’ont pas de tickets : ne faites pas les imbéciles, nous protégeons nos patrons ».
Et pourquoi Delsener s’en soucierait-il ? Pour les mêmes raisons que les Jacksons : l’argent. « C’est un pari », explique-t-il. « Les Jacksons nous disent : ‘Voilà notre prix. Sur 100 000 dollars ce soir, nous voulons 90 % du net’. Disons que le brut s’élève à 300 000 dollars et les dépenses à 100 000 dollars. Il reste 200 000 dollars net, je perçois donc 20 000 dollars, et ils perçoivent les 180 000 dollars restants ». Pas mal, même après une nuit de travail intense.
Source: People Weekly – 7 mai 1984 – http://www.the-michael-jackson-archives.com
Traduction: Pretty Young Cat