Article et interview Ebony Magazine, Septembre 1979.

Le magazine Ebony du mois de Septembre 1979 faisait sa UNE avec les frères Jackson en titrant: Ce ne sont plus des petits garçons. On y retrouve un article de Charles L. Sanders sur six pages avec quelques photographies et une courte interview de Michael Jackson.

Qu’est-il advenu des cinq petits garçons très mignons originaires de Gary, dans l’Indiana, qui se sont baptisés les Jackson 5 et qui ont donné leur premier gros concert en 1969, vêtus des costumes fabriqués par leur mère sur sa machine à coudre Singer ?

Bien sûr, ce ne sont plus des petits garçons. Ils ont dix ans de plus, et ils sont considérablement plus riches et plus célèbres ; on estime le nombre de ventes de leurs disques à 90 millions partout dans le monde. Ils sont habillés par les meilleurs tailleurs – sauf Michael qui ne s’intéresse pas du tout aux vêtements – et si leur mère, Madame Katherine Jackson, veut raccommoder une chaussette ou quoi que ce soit d’autre, elle a l’embarras du choix parmi les Rolls-Royce pour se rendre au magasin du coin pour acheter une bobine de fil.

Trois des frères Jackson – Jackie, Tito et Marlon – sont mariés et ont des enfants. A 21 ans, Michael n’est pas marié mais on dit qu’il y a « quelque chose » avec l’actrice Tatum O’Neal, qui est âgée de 15 ans. Randy, le plus jeune (il aura bientôt 18 ans), est selon les adolescentes un tombeur avec le sex-appeal dû à sa jeunesse.

Le père des Jacksons, Joe, prend toutes les décisions sur leur carrière en tant que manager – après les avoir fait quitter Motown Records pour aller chez Epic, le label de CBS Records, en 1976. Les anciens Jackson 5 s’appellent désormais les Jacksons (Motown était propriétaire de l’ancien nom), et leur dernier album, Destiny, est un vrai succès qui s’est vendu à environ 1 500 000 exemplaires (l’un des meilleurs succès de cet album, Shake Your Body, écrit par Michael et Randy, s’est vendu à plus de 2 millions de 45 tours). Cet album était le parfait lancement pour l’une des tournées des Jacksons les plus réussies, avec des concerts qui se sont joués devant des centaines de milliers de fans en Europe et dans 26 villes américaines. La tournée a rapporté des millions de dollars, mais l’argent est un sujet dont les Jacksons n’aiment pas discuter.

« Parler de sa richesse et se tenir à côté de voitures de luxe ou d’autres choses, c’est à la fois vulgaire et fatigant », dit Michael. « Il suffit de dire que nous travaillons depuis longtemps et que nous avons réussi financièrement ». Un peu pressé d’en dire plus, il a ajouté calmement, comme s’il était embarrassé de l’admettre : « Eh bien, oui, bien sûr nous sommes tous millionnaires… au moins ça, mais pourquoi en parler ? La valeur financière de quelqu’un est une question privée, et nous nous sommes toujours efforcés qu’il en soit ainsi nous concernant ».

Il a été dit, et l’information semble fiable, que les Jacksons ont fait des investissements lucratifs dans l’immobilier et ont un montant considérable de liquidités en banque, et si Joe Jackson a son mot à dire, ce montant devrait encore augmenter très vite. « Tout le monde sait que dans le milieu du divertissement, c’est sur le volet commercial que se trouvent les plus grosses sommes d’argent », dit-il. « Et c’est ce volet que j’ai toujours voulu voir se développer, et sur lequel j’ai toujours voulu m’impliquer à fond. Quand ils étaient chez Motown, ils étaient plutôt jeunes, et ils avaient un contrat qui ne leur permettait pas de faire certaines choses. Ils faisaient ce qu’on leur disait de faire. Maintenant, ce ne sont plus des enfants, et ils ont un nouveau contrat chez Epic, qui leur permet d’écrire leurs propres morceaux, ils ont leur propre société de publication, et ils peuvent produire leurs propres albums. Ce sont quelques-uns des points clé que j’ai toujours voulu pour eux ».

Il y a eu ceux qui pensaient que les Jackson 5, comme certains autres groupes de la Motown, finiraient avec des aides sociales ou à travailler en tant que serveurs s’ils abandonnaient le confort chaleureux du « giron » de la Motown. D’autres ont dit qu’ils avaient été « arnaqués » pendant des années et que, par conséquent, ils avaient quitté Mère Motown en mauvais termes. Et certaines rumeurs ont effectivement dit que « certaines personnes » avaient décidé de « détruire » la carrière des Jacksons pour donner une leçon à d’autres artistes qui auraient l’idée d’aller démarcher de meilleurs contrats ailleurs. Rien de si drastique ne s’est passé, mais pendant un certain temps, les choses n’ont pas été si roses du tout. Les premiers albums des Jackons chez Epic – The Jacksons et Goin’ Places – n’ont pas obtenu le disque de platine comme on s’y attendait, et quelques questions ont été soulevées : était-ce parce que Jermaine avait quitté le groupe pour rester chez Motown (il est marié à Hazel, fille du propriétaire de la Motown, Berry Gordy), créant par conséquent une rupture dans une famille qui a toujours été très soudée et éteignant une petite étincelle ? Etait-ce dû au fait que le principal argument de vente des frères, à savoir leur jeunesse, s’était pratiquement évanoui, ce qui les mettait en concurrence directe avec des groupes plus matures comme Earth, Wind & Fire ou les Commodores (concurrence un peu trop forte ?).

Plusieurs « sessions de réflexion » de la plus haute importance ont été organisées entre les Jacksons et les experts de musique noire chez Epic. La décision : frapper un grand coup avec un troisième album – un album que les Jacksons eux-mêmes pourraient écrire et produire eux-mêmes, et pour lequel ils auraient un rôle à jouer dans des domaines tels que le design de la pochette de l’album, ou les techniques de promotion et de marketing. Ainsi est né l’album Destiny, qui a atteint les sommets des classements, propulsant les Jacksons aux Pays du Platine avec plus d’un million de ventes pour la première fois depuis des années. Ce n’est qu’à la fin de l’été que les Jacksons ont pu se détendre après une tournée intercontinentale, des douzaines d’apparitions télé, des sessions d’autographes, des interviews, etc. « C’était comme un nouveau départ pour notre carrière », dit Marlon Jackson.

Avec Jermaine Jackson désormais de son côté (il n’a pas encore réussi à sortir de grand succès, mais il est le manager du groupe populaire Switch), et avec Jackie, Tito et Marlon qui ne sont plus sous l’aile protectrice de Maman et Papa, qu’en est-il de « l’unité familiale » qui a caractérisé Katherine et Joe Jackson et leurs enfants pendant tant d’années ? « Très, très peu de choses ont changé », dit Jackie Jackson tout en câlinant son fils de deux ans, Sigmund II. « Nous sommes toujours très proches, nous nous rendons visite tout le temps, nous nous soutenons dans tout ce que nous faisons, et il y a toujours ce vieil amour familial ». Alors que les discussions autour du domaine professionnel ont habituellement lieu dans l’immense maison familiale, où Michael et Randy et leurs sœurs Latoya et Janet vivent encore (une autre sœur, Maureen Brown, vit avec son mari dans le Kentucky), des fêtes au bord de la piscine ou des barbecues permettent de réunir tout le monde chez Jackie et son épouse Enid, dans la maison toute proche de Marlon et Carol et leurs filles Valencia, 4 ans, et Brittny Chanté, 2 ans, ou dans la villa de type hispanique perchée sur la colline que Tito et Deloris sont en train de rénover et d’agrandir au cas où ils agrandissent leurs famille composée de trois garçons, Toriano, 6 ans, Taryll, 4 ans, et Tito Joe, 1 an. Randy dit qu’en ce moment il est « amoureux de toutes les filles », et Michael dit qu’il a « largement le temps » de penser au mariage, et il n’est pas disposé à discuter de son amitié avec la fille de Ryan O’Neal, Tatum, 15 ans. Il dit que c’est la première fille avec qui il est sorti, et il admet qu’ils sont « très proches » – mais il n’en dit pas plus. La relation a déjà créé trop de controverses – concernant l’âge de Tatum, principalement, et il y a aussi l’aspect interracial – et les Jacksons évitent la controverse à tout prix. Par exemple, ils ont abandonné leur plan d’inclure l’Afrique du Sud dans leur tournée du dixième anniversaire après que plusieurs organisations noires ont menacé de les boycotter partout dans le monde, et ils ont dû accepter une offre impliquant « une fabuleuse somme d’argent » pour faire une série de concerts en Arabie Saoudite. Ils ne veulent pas paraître prendre parti dans le conflit Israelo-Arabe, ont-ils dit. Pour la même raison, ils se sont trouvés une fois « incapables » d’accepter une invitation à dîner dans la propriété d’un riche jeune arabe à Beverly Hills. « Les gens en auraient fait un sujet politique, et nous ne voulons en aucun cas être lié à la politique », a expliqué Tito. « Regardez quel impact a eu la politique sur les carrières de Jane Fonda, Charlie Chaplin, et quelques autres ».

Après dix années au sommet, les Jacksons sont arrivés à un certain tournant de leur carrière – le genre de tournant où ils doivent décider comment conserver la loyauté des jeunes fans qui ont été leurs plus grands supporters et qui les ont maintenus dans les hit-parades pendant leur transition quelque peu hasardeuse de Motown à Epic, et comment aller chercher les dollars détenus par la foule passée en phase post-puberté. Financièrement, le fait que les Jacksons soient en mesure de proposer des produits susceptibles de séduire les légions d’acheteurs de disques blancs ne serait pas un mal. « Nous travaillons sur de nouvelles choses presque tous les jours », dit Tito, qui est le premier à avoir insisté auprès de ses parents et de ses frères pour former un groupe professionnel quand ils jouaient pour personne à part eux dans leur salon à Gary il y a une dizaine d’années. Et Michael ajoute : « Nous pensons tous que nous avons tout ce qu’il faut pour plaire à tout le monde. De plus, nous sommes encore jeunes et nous avons encore toutes sortes de choses devant nous – plus d’écriture, de production, de films, d’émissions de télé… toutes sortes de choses. Je pense que tous les membres du groupe sont d’accord pour dire qu’en ce moment nous sommes tous très heureux, nous adorons ce que nous faisons et ce que nous projetons de faire, nous avons hâte de nous y mettre ».

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Michael Jackson a toujours été considéré comme la « star » des Jacksons, et il a acquis une notoriété supplémentaire en jouant le rôle de « The Scarecrow » dans le film The Wiz. Artiste solo de premier plan, il a récemment sorti un nouvel album, Off The Wall, produit par Quincy Jones. L’un des plus gros succès de l’album est Don’t Stop ‘Til You Get Enough.
EBONY lui a demandé son point de vue sur plusieurs choses :

    – Sur la façon dont les Jacksons partagent leurs gains : « Nous sommes sur scène tous ensemble, et nous fournissons la même somme de travail, donc nous partageons tout équitablement. Bien sûr, si l’un de nous fait un album solo, un film ou quelque chose d’autre tout seul, il garde ce qu’il a gagné ».

    – Sur les artistes noirs qui oublient leurs racines : « Je ne peux pas parler pour les autres, pour n’importe quel autre groupe, mais nous les Jacksons, nous n’oublions pas que nous ne serions pas là où nous sommes si ce n’était pas pour nos fans. Nous avons toujours donné de notre personne pour des groupes et nous soutenons beaucoup d’organisations ».

    – Sur les paroles de chansons « osées » : « Je ne critique pas les autres artistes, mais je ne vois aucune raison de chanter des chansons vulgaires et sexuellement explicites. Je refuse de chanter des chansons comme celles-là parce que je pense que les artistes sont aujourd’hui en position de changer les esprits à propos de certaines choses, spécialement les esprits des plus jeunes ».

    – Sur ses capacités en tant que danseur : « Je n’ai jamais pris de leçons de danse de toute ma vie. Un certain nombre de grands danseurs, tels que Sammy Davis et Fred Astaire, m’ont montré certains types de pas, mais la plupart du temps je pratique par moi-même et je travaille mes propres chorégraphies ».

    – Sur les vêtements : « Je suppose que beaucoup de gens s’attendent à ce que je sois soucieux de la mode, mais tout ce dont j’ai besoin, c’est de quelques chemises et quelques pantalons en velours côtelé. Je n’ai quasiment pas de vêtements. Je n’ai même pas de costume. Hormis pour ce que nous devons porter sur scène, les vêtements ne m’intéressent pas ».

    – Sur ce qui l’intéresse : « Les gens. Les livres. Ma musique bien sûr. Et les animaux – mais les animaux exotiques, pas les chiens et les chats ordinaires. J’essaie d’aller au zoo dans chaque ville que je visite. J’y vais pour regarder les animaux rares et exotiques, et les oiseaux. Si vous regardez un cougar, par exemple, ses mouvements sont tout simplement fantastiques. Regardez un lama et voyez comment il se comporte, ou un paon, ou d’autres magnifiques oiseaux ».

    – S’il se voit comme une espèce d’animal : « Plein de fois – spécialement quand je suis sur scène. La façon dont les oiseaux bougent peuvent donner de très bonnes idées pour des chorégraphies. Et puis le cougar – eh bien, parfois je pense que si devais être un animal, j’aimerais être un cougar, et parfois j’essaie de bouger comme les cougars dans la jungle, un peu sournois, rusé, mais avec une belle énergie. Un cougar, c’est ce que j’aimerais être ».

    – Sur la religion : « J’évite d’utiliser le terme « religion » parce que beaucoup de gens disent « ma religion ceci », ou « ma religion cela ». Pourquoi est-ce que ce serait ma religion ? Je crois juste en ce qui est écrit dans la Bible, sans me soucier de la religion concernée. Je crois, tout simplement ».

    – Sur sa croyance en la prière : « J’y crois, et je m’agenouille chaque soir pour remercier Dieu et Lui demander de me montrer la voie ».

    – Sur la raison pour laquelle il ne quitte pas les Jacksons pour mener sa propre carrière, comme l’a fait son amie proche Diana Ross quand elle a quitté les Supremes : « Mes frères et moi nous entendons bien. Il n’y a aucun problème d’ego entre nous ; chacun de nous sait ce que peut faire l’autre, et nous pensons que chacun a son rôle à jouer dans notre groupe. Aujourd’hui nous pensons que les Jacksons sont toujours en pleine évolution. Ce n’est pas le moment de faire des changements drastiques. Je ferai plus de films et mes propres albums, mais aujourd’hui le groupe passe en premier. De toute façon, je ne fais pas grand-chose avant de sentir qu’une certaine force me dise quoi faire. Cette force me dit quand, et à ce moment-là je bouge ».

– S’il regrette ou non de ne pas être allé à l’université : « Oui, mais notre carrière nous a tous très occupés. Je ne néglige pas mon éducation pour autant. Je lis toutes sortes de choses – des magazines, des livres, des encyclopédies, tout ce qui peut m’aider à avoir une meilleure compréhension de la vie. Certains des grands penseurs de l’histoire sont des autodidactes, vous voyez, donc j’apprends autant que possible par moi-même ».

    – S’il a des amis proches : Il y a beaucoup de gens que j’aime, et je pense qu’ils m’aiment, mais seul le temps nous dira si nos amitiés sont des amitiés réelles, des amitiés proches. Diana Ross et moi avons par moments des conversations très, très profondes – spécialement par téléphone, parce que je suis beaucoup plus profond quand je parle au téléphone plutôt qu’en personne ».

– Si cela signifie qu’il est extrêmement timide : La plupart des gens pensent que je le suis, et c’est vrai. Mes frères disent que tout le monde m’intimide. Ce n’est pas vrai, mais j’évite le contact visuel avec beaucoup de gens. Je préfère parler au téléphone ».

– Sur le succès des Jacksons : « J’ai toujours pensé que le succès et l’échec étaient un peu comme deux filles.  – l’une qui est super belle, l’autre peu attirante. La belle fille, qui représente le succès, ne devrait pas se vanter de sa beauté ; elle ne devrait pas s’en vanter et se moquer de la fille moins attirante. Ni l’une ni l’autre ne s’est créée elle-même ; c’est Dieu qui les a créées toutes les deux. Je ressens la même chose à propos du succès des Jacksons. Nous ne nous sommes pas créés nous-mêmes ; c’est Dieu qui nous a créés. Et Dieu nous a donné le talent que nous avons, et nous pensons toujours qu’Il projette quelque chose à travers nous pour que le monde entier le partage et en profite. C’est toujours comme ça que nous nous sommes vus ».

Source : EBONY – Septembre 1979 – Google Livres.

Traduction: Pretty Young Cat